Le Signe rouge des braves (Un épisode durant la guerre de Sécession)
ne suis pas venu ici pour me battre contre toute la damnée armée rebelle ! »
Quelqu’un jeta un cri plaintif : « J’aurais souhaité que Bill Smithers me marche sur les doigts, plutôt que moi sur les siens. » Les jointures endolories du régiment craquèrent quand il se jeta péniblement en position pour repousser l’assaut.
L’adolescent avait le regard fixe. Sûrement, pensa-t-il, cette chose impossible n’allait pas se produire. Il s’attendait à ce que l’ennemi subitement s’arrête, et se retire en s’inclinant jusqu’à terre en guise d’excuse. Tout cela était une erreur.
Mais le tir commença quelque part sur la ligne de front, et se propagea comme une longue déchirure des deux côtés opposés. Les flammèches horizontales des tirs produisaient de grands nuages de fumée, qui retombaient en se balançant un moment sous la brise, tout près du sol, puis roulaient à travers les rangs comme par des ouvertures. Les rayons du soleil les teintaient d’ocre jaune, et l’ombre d’un bleu triste. Le drapeau était par moment avalé par cette masse vaporeuse, mais le plus souvent il rejaillissait, resplendissant sous le soleil.
L’adolescent avait le regard d’un cheval fourbu. Sa nuque tremblait de fatigue nerveuse, et les muscles de ses bras étaient engourdis et comme exsangues. Ses mains aussi paraissaient grandes et maladroites, comme s’il portait des mitaines invisibles. Et il y avait une grande incertitude quant à ses genoux. Les paroles dites par ce camarade juste avant d’ouvrir le feu, commençaient à lui revenir : « Oh ! dit, c’en est trop ! Pour qui nous prennent-ils ?… pourquoi qu’on ne nous envoie pas de renforts… J’suis pas ici pour me battre contre toute la damnée armée rebelle. »
Il commençait à exagérer l’endurance, l’habilité et la valeur de l’ennemi qui arrivait. Vacillant presque de fatigue, il s’étonnait au-delà de toute mesure devant une telle insistance au combat. Comme s’ils dussent être des machines d’acier. Il était déprimant de lutter contre de telles choses, condamnés, peut-être, à se battre jusqu’au coucher du soleil.
Il leva doucement son fusil, et après un coup d’œil sur la masse éparpillée sur les champs, tira sur un groupe qui avançait au pas de course. Alors il s’arrêta et, autant qu’il le pouvait, se mit à scruter la fumée. Il eut une vue changeante de terrains couverts d’hommes, qui couraient en hurlant comme de petits diables pris en chasse.
Pour l’adolescent, c’était là un assaut de dragons redoutables. Il devenait comme cet homme du conte qui perdait ses jambes à l’approche du monstre rouge et vert. Il restait dans une sorte d’écoute horrifiée. Il paraissait fermer les yeux, attendant d’être avalé.
Un homme à ses côtés, qui jusqu’à présent avait actionné son fusil avec fièvre, s’arrêta soudain et se mit à fuir avec les hauts cris. Un jeune homme dont le visage portait une expression de courage exalté, – la majesté de celui qui ne craint pas de donner sa vie –, fût en un instant frappé d’abjection. Il blêmit comme quelqu’un qui soudain prend conscience qu’il se trouve au bord d’une falaise à minuit. Ce fût une révélation. Lui aussi jeta son arme à terre et prit la fuite. Son visage ne portait nulle honte. Il détala comme un lièvre.
D’autres commencèrent à se défiler sous la fumée. L’adolescent tourna la tête, et, sortant de sa transe, – à ce mouvement qui lui donnait l’impression que le régiment l’abandonnait –, vit les quelques silhouettes qui fuyaient.
Il jeta alors un cri de terreur et tourna sur lui-même. Durant un moment, au milieu de toute cette clameur, il fût comme le froussard proverbial. La destruction menaçait de toute part.
Aussitôt il se mit à courir à grandes enjambées vers l’arrière. Il avait perdu son fusil et sa casquette, et sa veste déboutonnée enflait sous le vent. Son sac à cartouche rebondissait furieusement, et sa gourde s’entortillait dans son dos au bout de sa corde mince. Sur son visage il y avait toute l’horreur des choses imaginées.
Le lieutenant surgit devant lui en vociférant. L’adolescent vit ses traits cramoisis déformés par la colère, et il le vit qui donnait un coup du plat de son épée. Sa seule pensée durant l’incident fut que le lieutenant devait être une créature singulière pour s’intéresser à pareille chose en pareil
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