Le Signe rouge des braves (Un épisode durant la guerre de Sécession)
moment.
Il courut en aveugle. Deux ou trois fois, il tomba ; et il se heurta l’épaule si lourdement contre un arbre, qu’il s’écroula tête en avant.
Depuis qu’il avait tourné le dos au combat, sa peur avait pris une ampleur extraordinaire. La mort qui pouvait l’atteindre dans le dos était de loin plus effrayante que celle qui l’avait menacé de face. Quand il y pensa plus tard, il prit conscience qu’il était préférable de faire face à ce fantôme effrayant, plutôt que de le fuir en restant toujours à sa portée. Les bruits de la bataille étaient comme autant de pierres qui le lapidaient, et il savait qu’elles allaient l’écraser.
Alors qu’il courait, il se mêla avec d’autres. Vaguement il vit des hommes à ses côtés, et entendit des bruits de pas derrière lui. Il crut que tout le régiment fuyait, poursuivit par le fracas menaçant de la bataille.
Le bruit des pas qui l’accompagnaient dans sa fuite, furent pour lui l’unique et maigre soulagement. Il sentait vaguement que la mort devait choisir d’abord les hommes les plus proches : les premiers morceaux offerts au monstre étaient donc ceux qui le suivaient. Aussi il déploya le zèle d’un coureur fou pour les maintenir derrière lui. Il y eut une véritable course.
Comme, toujours en tête, il traversait un petit champ, il se retrouva dans un terrain ciblé par les obus. Avec de longs sifflements aigus, ils passaient à une vitesse effrayante au dessus de sa tête. En les entendant, il les imagina pourvus de rangées de dents cruelles qui grimaçaient. L’un d’entre eux atterrit devant lui, et l’éclair livide de l’explosion lui barra en effet le chemin qu’il suivait. Il rampa à quatre pattes sur le sol, puis se relevant poursuivit sa course à travers les buissons.
Quand il arriva en vue d’une batterie en action, il fût grandement étonné et intrigué. Ici les hommes semblaient poursuivre tranquillement leur routine, tout a fait inconscients de leur destruction imminente. La batterie se disputait avec un lointain antagoniste, et les artilleurs étaient en admiration devant leurs propres tirs. Ils se penchaient tout le temps sur leurs canons avec des gestes attendris. Tout en leur donnant des tapes affectueuses, ils semblaient les encourager avec des paroles tendres. Les canons, indomptables et fermes s’exprimaient avec une égale bravoure.
Les canonniers, précis dans leurs manœuvres, avaient l’enthousiasme tranquille. À chaque occasion ils levaient les yeux vers la petite colline masquée par la fumée, et d’où leur répondait la batterie hostile. L’adolescent les prit en pitié et poursuivit sa course. Idiots méthodiques ! Imbéciles automates ! Le plaisir de planter des obus au milieu de la formation ennemie paraîtra si peu de chose, quand l’infanterie viendra de la forêt, balayant tout sur son passage.
L’air calme d’un jeune cavalier qui faisait bondir son cheval excité, comme s’il était dans la paisible cour d’une ferme, l’impressionna profondément. Il savait qu’il regardait un homme sur le point de mourir.
Il ressentait de la pitié aussi pour les canonniers, debout, six bons camarades en formation courageuse.
Il vit une brigade arriver en renfort pour soulager ses compagnons harcelés. Escaladant un monticule, il la vit glisser avec aisance, se maintenant en bon ordre malgré les difficultés du terrain. La ligne bleue des troupes, parsemée d’éclats métalliques portait la projection de brillants étendards. Les officiers hurlaient.
Cette vue l’emplissait d’étonnement. Quelle sorte d’hommes composait cette brigade qui se hâtait vivement pour tomber dans la bouche infernale du dieu de la guerre ? Ah, ils devaient être d’une extraordinaire espèce ! À moins qu’ils n’aient rien compris… les imbéciles !
Un ordre furieux provoqua l’agitation dans l’artillerie. Un officier sur son cheval cabré faisait des gestes de maniaque avec ses bras. Les chariots quittaient les arrières en se balançant, les pièces d’artillerie faisaient demi-tour, et la batterie détala. Les canons, le nez pointé au sol, grognaient comme des hommes résolus et braves qui rechignent à courir.
L’adolescent poursuivit son chemin, modérant le pas depuis qu’il avait quitté la zone des tumultes.
Plus tard il arriva devant un général de division sur son cheval, dont l’oreille tendue paraissait s’intéresser à la bataille. Le cuir brillant et
Weitere Kostenlose Bücher