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Le Signe rouge des braves (Un épisode durant la guerre de Sécession)

Le Signe rouge des braves (Un épisode durant la guerre de Sécession)

Titel: Le Signe rouge des braves (Un épisode durant la guerre de Sécession) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Crane
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l’entouraient, renversé et écrasé par leur faiblesse morale à tenir leur position, quand une réflexion intelligente les eût convaincus que c’était impossible. Lui l’homme éclairé qui voyait au plus profond des ténèbres, avait fui à cause de sa perception supérieure, de son savoir. Il ressentait une grande colère contre ses camarades. Il savait qu’on pouvait montrer qu’ils avaient été des idiots.
    Il se demanda ce qu’on remarquerait quand plus tard il allait réapparaître au camp. Son esprit entendait déjà des cris moqueurs. Il était écrit qu’on ne comprendrait jamais sa façon élaborée de voir les choses.
    L’adolescent commençait à se prendre en grande pitié. On l’avait trompé. Il avait été piétiné par une impitoyable injustice. Il avait agi avec sagesse, motivé par ce qu’il y avait de plus juste sous le ciel, pour seulement être trahi par des circonstances hostiles.
    Une révolte vague, quasi instinctive, contre ses compagnons, la guerre en général et le destin, grandit en lui. Il marcha, le pas incertain, le cerveau agité par la douleur et le désespoir. Quand il releva un peu la tête, tremblant à chaque bruit, il avait le regard d’un criminel dont la culpabilité est grande, et qui attend un châtiment exemplaire sans pouvoir s’expliquer ; quelqu’un qui par sa souffrance, pense avoir connu le fond des choses, et su que le jugement d’un homme est fragile comme une feuille sous le vent.
    Il quitta les champs pour entrer dans une épaisse forêt, comme s’il avait résolu de s’enterrer vivant. Il souhaitait se mettre hors de portée des bruits de coups de feu, qui étaient pour lui comme autant de voix.
    Sur le sol parsemé de plantes grimpantes et de buissons, les arbres poussaient comme des bouquets, tellement ils étaient serrés. Il fût obligé de se frayer un chemin à grands bruits. Les lianes qui lui accrochaient les pieds protestaient d’une voix rauque à mesure que leurs pousses étaient arrachées des troncs d’arbres. Le bruissement des jeunes arbres indiquait sa présence au monde. Il ne put disposer la forêt en sa faveur : elle protestait sans cesse contre lui à mesure qu’il avançait. Quand il séparait l’arbre et la plante enlacés, le feuillage perturbé secouait ses membres, et ses feuilles étaient comme autant de visages qui se tournaient vers lui. Il craignit que sa marche bruyante n’indiquât sa présence au régiment, qui se mettrait aussitôt à le chercher. Alors, il pénétra plus avant dans la forêt, recherchant les parties les plus sombres et les plus touffues.
    Un moment plus tard, le bruit de la mousqueterie avait considérablement baissé, et la voix des canons parut plus lointaine. Le soleil subitement visible, brûlait comme un feu entre les arbres. Les insectes faisaient des bruits cadencés ; comme s’ils grinçaient des dents tous ensemble. Un pic-vert plantait son impudent bec sur tout le côté d’un arbre. Un oiseau s’envola d’un coup d’aile joyeux.
    Là-bas la mort grondait. Mais ici la Nature paraissait indifférente et sourde. Cette forêt lui redonnait confiance : simplement et honnêtement elle entretenait la vie ; la paix était son credo. Elle mourrait si l’on forçait ses regards timides à voir le sang qui coulait là-bas. Il concevait la Nature comme une femme dotée d’une profonde aversion pour la tragédie.
    Il lança une pomme de pin sur un écureuil jovial qui s’enfuit en tremblant de peur. Arrivé au sommet d’un arbre il s’arrêta, et, pointant la tête avec précaution derrière une branche, regarda vers le bas d’un air agité.
    Ce spectacle fit naître un sentiment de triomphe chez l’adolescent. Il y avait donc bien une loi dans la nature. Elle venait de lui donner un signe. L’écureuil immédiatement après avoir reconnu le danger, avait pris ses jambes à son cou sans hésiter. Il n’est pas resté impassible, encaissant le projectile avec la fourrure de son ventre, pour ensuite mourir en jetant un dernier regard au ciel compatissant. Au contraire, il avait fui aussi vite que ses jambes le permettaient ; et pourtant, ce n’était qu’un écureuil ordinaire, sans doute pas un philosophe dans son genre. L’adolescent poursuivit son chemin d’un pas plus tranquille, se sentant en harmonie avec la nature, qui confirmait son choix avec des preuves tangibles et vivantes sous le soleil.
    Il faillit se perdre dans un marécage, et fut contraint de

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