Le Signe rouge des braves (Un épisode durant la guerre de Sécession)
marcher sur les touffes d’herbe parsemées sur le sol spongieux, en évitant soigneusement les sables mouvants. S’arrêtant un moment pour se repérer, il vit plus loin un animal plonger dans l’eau trouble et en ressortir aussitôt avec un poisson qui brillait.
L’adolescent rejoignit à nouveau les épais buissons. Les branches froissées par son passage noyaient par leur bruit le son lointain du canon. Il avançait vers une obscurité plus épaisse.
Finalement, il atteignit un endroit où les hautes branches voûtées formaient comme une chapelle. Il écarta doucement le feuillage qui en fermait l’entrée comme une porte, et s’avança. Les aiguilles de pin formaient un tapis brun très doux. Il y avait là un demi-jour au ton sacral.
Sur le seuil il s’arrêta, frappé d’horreur à la vue de la chose.
Un homme mort le fixait, le dos appuyé contre un arbre droit comme une colonne. Le cadavre portait un uniforme qui fût jadis bleu, mais qui maintenant avait une légère teinte verte et mélancolique. Les yeux qui le fixaient étaient ceux d’un poisson mort. La rougeur de la bouche grande ouverte avait viré au jaune sinistre. Sur le visage au ton cendré couraient de petites fourmis. L’une d’elles traînait une lourde charge le long de la lèvre supérieure.
L’adolescent lâcha un cri strident, et durant un bon moment resta figé comme la pierre devant la chose. Il demeura là à fixer ces yeux glauques. Entre le mort et le vivant, un long regard fût échangé. Alors l’adolescent leva la main derrière lui avec précaution, et s’accota à un arbre ; et en s’y appuyant il recula, pas à pas, le visage tourné toujours vers la chose. Il eut peur qu’en lui tournant le dos, le corps ne se lève d’un bond et ne se mette furtivement à sa poursuite.
Les branches qui le repoussaient, menacèrent de le renverser sur le mort. Ses pas mal assurés, en s’empêtrant dans les fourrés aggravaient les choses, et tout semblait lui suggérer subtilement de toucher le cadavre. À cette seule pensée, il trembla par tout le corps.
Finalement, rompant le charme qui le maintenait en place, il s’enfuit en courant, sans faire attention aux branches basses ; hanté par la vue de ces fourmis noires qui essaimaient voracement sur le visage de cendre, s’aventurant horriblement tout près des yeux.
Après un temps il s’arrêta de courir, essoufflé, et se mit à l’écoute. Il imaginait qu’une étrange voix sortant de la gorge du mort, s’était mise à hurler dans son dos d’horribles menaces.
Les arbres près du portique de la chapelle remuèrent plaintivement sous une douce brise. Un silence triste pesait sur le petit mausolée du soldat.
CHAPITRE HUITIÈME
Les arbres commencèrent doucement leur hymne au crépuscule qui tombait ; et d’obliques rayons de bronze frappèrent la forêt quand le soleil se coucha. Il y eut une accalmie dans le bourdonnement des insectes, comme s’ils baissaient leurs trompes et faisaient une pause pour la prière. Tout était silencieux, excepté le chant répété des arbres.
Alors, sur cette quiétude, éclata subitement un fracas de bruits épouvantables. Un roulement furieux arrivait de loin.
L’adolescent s’arrêta. Il était saisi par ce terrifiant éclat de bruits confus : c’était comme si l’on déchirait le monde. Au bruit crépitant de la mousqueterie se mêlaient les terribles éclats des batteries de canons.
Son esprit partait dans tous les sens. Il imaginait les deux armées dressées l’une contre l’autre comme deux panthères. Pendant un temps, il resta à l’écoute. Alors, il se mit à courir en direction de la bataille. Il voyait bien l’ironie de la chose, à courir ainsi vers ce qu’il avait évité avec tant de peines. Mais il se dit en substance, que si la terre et la lune étaient sur le point de se heurter l’une contre l’autre, beaucoup de gens penseraient sans doute à se mettre sur les toits pour voir la collision.
En courant il prenait conscience que la forêt avait cessé son chant. Comme si finalement elle était capable d’entendre les bruits extérieurs. Les arbres cessèrent leurs chuchotements et se tinrent immobiles. Tout semblait écouter les crépitements, le fracas, et le tonnerre assourdissant : chorus qui jetait ses hurlements terribles sur la terre tranquille.
L’adolescent prenait conscience subitement que le combat, où il fut présent, n’avait été, après tout, qu’un
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