Le Signe rouge des braves (Un épisode durant la guerre de Sécession)
amas de buissons. À cette vue il eut un haut-le-cœur, et lâcha un gémissement douloureux. L’homme aux haillons et lui entamèrent la poursuite. Ce fut une course singulière.
Quand il rattrapa le soldat de grande taille, il commença de l’implorer avec tous les mots qu’il pût trouver :
– « Jim… Jim. Que fais-tu… pourquoi fais-tu ça… tu vas te faire mal. »
Son visage était animé par le même but. Il protesta d’un air buté, gardant les yeux rivés sur le mystique endroit vers où son intention le menait.
– « Non… non… ne me touche pas… laisse-moi, laisse-moi. »
L’adolescent, horrifié et perplexe devant son ami, recommença à lui poser des questions en tremblant :
– « Où que tu vas Jim ? À quoi que tu penses ? Où que tu vas ? Tu veux pas me le dire Jim ? »
Le soldat de grande taille leur fit face, comme s’il avait affaire à d’implacables poursuivants. Il y avait un grand appel dans ses yeux.
– « Laisse-moi tranquille veux-tu ? Laisse-moi tranquille une minute ! »
L’adolescent se recula : « Pourquoi Jim ? » dit-il d’un air stupéfait. « Qu'est-ce qui te prend ? »
L’autre se détourna et, penchant dangereusement, continua sa marche. L’adolescent et le soldat en haillons suivirent, la tête basse comme s’ils recevaient le fouet ; se sentant incapables de faire face à l’homme blessé à mort, s’il les confrontait à nouveau. Ils pensaient suivre quelque cérémonie solennelle. Il y avait une sorte de rituel dans les mouvements du soldat condamné, qui ressemblait à quelque fanatique d’une religion de fous. Une religion qui suçait le sang, déchirait les muscles et broyait les os. Ils ne pouvaient le comprendre. Horrifiés ils avaient peur, et se tenaient à distance derrière lui, comme s’il tenait quelque effroyable arme à sa disposition.
Enfin, ils le virent qui s’arrêtait, debout, immobile. S’approchant en hâte, ils virent son visage exprimer qu’enfin il avait trouvé l’endroit pour lequel il avait lutté. Sa maigre silhouette était droite, ses mains ensanglantées tranquillement tenues le long du corps. Il attendit avec patience ce quelque chose qu’il était venu rencontrer. Il était au rendez-vous. Ils firent une pause, et restèrent debout dans l’expectative.
Il y eut un silence.
Finalement, la poitrine du soldat condamné se mit à se soulever à grand effort. Mouvement qui devint si violent qu’on eût dit qu’un animal était à l’intérieur, qui remuait et se débattait furieusement afin de se libérer.
Le spectacle de cet étranglement graduel fit se tordre l’adolescent, et quand son ami roula des yeux, ce qu’il vit le fit s’écrouler par terre en hurlant. Il éleva la voix dans un appel suprême : « Jim… Jim… Jim… »
Le soldat de grande taille ouvrit les lèvres et dit en faisant un geste :
– « Laisse-moi… ne me touche pas… laisse-moi… »
Il y eut un autre silence, une autre attente.
Sa forme se raidit et se redressa soudain. Alors, une fièvre prolongée le secoua. Il jeta un regard devant lui. Pour les deux témoins, il y avait une curieuse et profonde dignité dans les traits fermes de sa face effrayante.
Doucement, une sourde étrangeté l’envahissait et l’enveloppait. Un moment le tremblement de ses jambes lui fit danser une sorte de hideuse ritournelle, et il se mit à taper sauvagement les bras contre sa tête, dans une expression d’enthousiasme démoniaque. Puis sa grande silhouette se tendit dans toute sa hauteur. Il y eut un léger bruit de déchirure. Alors il commença à pencher droit devant lui lent et raide comme un arbre qui tombe. Une rapide contorsion musculaire fit que l’épaule gauche toucha le sol en premier.
Le corps paru rebondir quelque peu sur le sol.
– « Mon Dieu ! » dit le soldat en haillons.
L’adolescent avait suivit, comme ensorcelé, cette sorte de cérémonial ponctuel et à l’endroit voulu. Son visage se tordait dans toutes les expressions d’agonies qu’il imaginait avoir été ressenties par son ami.
Se remettant sur pied, il s’approcha et regarda avec attention le visage de cire. La bouche était ouverte, découvrant les dents en un sourire.
Comme le pan de veste de sa tenue bleue s’était écarté, il put voir que tout le côté semblait avoir été dévoré par les loups.
L’adolescent se retourna subitement, livide de rage, vers le champ de bataille. Il secoua le
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