Le Signe rouge des braves (Un épisode durant la guerre de Sécession)
serrées. Ses mains étaient ensanglantées par les blessures sur lesquelles elles se posaient. Il paraissait devoir attendre le moment de tomber la tête en avant. Il marchait raide comme un spectre, et ses yeux brillaient d’un regard déjà tourné vers l’au-delà.
Il y en avait qui avançaient le pas grave, très irrités par leurs blessures, prêts à prendre n’importe quoi pour la cause obscure de leur malheur.
Un officier porté par deux soldats s’énervait et criait : « Ne secoue pas comme ça Johnson ! idiot ! », « tu crois que mes jambes sont en fer ? » « Si tu peux pas me porter convenablement, repose-moi et laisse quelqu’un d’autre le faire. »
Il vociféra sur la foule titubante qui bloquait la marche rapide des porteurs : « Hé ! laissez passer là ! Entendez-vous ? Laissez passer que le diable vous emporte tous ! »
À contrecœur, ils s’écartaient prenant les bords du chemin. Et comme il passait devant eux ils lui jetaient des remarques impertinentes. Quand il répondit en vociférant par des menaces, ils lui dirent d’aller au diable.
L’un des porteurs qui avançait à pas lourds heurta pesamment de son épaule le soldat à l’air spectral qui regardait vers l’inconnu.
L’adolescent rejoignit cette foule et se mit à la suivre. Ces corps déchirés parlaient de l’horrible appareil de destruction où les hommes s’étaient pris.
De temps à autre, des officiers d’ordonnance et des courriers traversaient la foule au galop, poursuivis par les hurlements des blessés, qu’ils éparpillaient sur les côtés de la route. La procession mélancolique était constamment perturbée par les messagers, et parfois par de bruyantes pièces d’artillerie qui arrivaient sur eux en balançant et battant lourdement le sol, avec les officiers qui criaient des ordres pour libérer la voie.
À côté de l’adolescent marchait un homme en haillons, rendu méconnaissable par la poussière, les tâches de sang et de poudre, qui le souillaient des pieds à la tête. Il écoutait avec beaucoup d’attention et d’humilité les descriptions fascinantes d’un sergent barbu. Ses traits maigres exprimaient à la fois la crainte et l’admiration. Il était comme ces gens qui aimaient écouter les merveilleuses histoires racontées parmi les tonneaux à sucre dans un magasin de campagne. Il regardait le conteur avec un étonnement indicible, la bouche qui baillait à la manière d’un paysan émerveillé.
Le sergent, s’en apercevant, fit une pause à son histoire détaillée en donnant ce commentaire sardonique : « Fais attention mon cher, tu vas attraper des mouches ».
Alors l’homme aux haillons se recula, confus et honteux.
Après un temps il commença une tentative d’approche du côté de l’adolescent, et, avec un changement dans l’attitude, essaya de s’en faire un ami. Sa voix devint tendre comme celle d’une jeune fille et ses yeux suppliants. L’adolescent vit avec surprise que le soldat portait deux blessures ; l’une à la tête, bandée d’un haillon gorgé de sang, et l’autre au bras qui pendait comme une branche à moitié cassée.
Après un bon moment de marche ensemble, l’homme aux haillons rassembla assez de courage pour dire : « On s’est bien battu, n’est-ce pas ? » dit-il timidement. L’adolescent, noyé dans ses pensées, leva les yeux sur la triste figure ensanglantée avec un regard d’agneau et dit : « Quoi ? »
– « On s’est bien battu n’est-ce pas ? »
– « Oui » répondit sèchement l’adolescent. Il accéléra son pas.
Mais l’autre se mit à sautiller derrière lui avec peine. Il y avait comme un air d’excuses dans ses manières, et de toute évidence il pensait seulement avoir besoin de parler pendant un moment, et alors l’adolescent verrait bien qu’il était un bon gars.
– « On s’est bien battu, n’est-ce pas ? hein ? » Commença-t-il encore avec une petite voix, et alors il eut le courage de poursuivre.
– « Que je sois damné si j’ai jamais vu des types se battre comme ça. Sapristi ! Faut voir comment qu’ils se sont battus ! Je savais comment que les gars se comporteraient, une fois qu’ils y seraient en plein dedans. Jusqu’à maintenant les gars ils n’avaient pas la chance, mais cette foi-ci ils ont montré ce qu’il étaient. Je savais que cela tournerait comme ça. Nos gars, tu peux pas les battre. Non-monsieur ! C’est des
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