Le Signe rouge des braves (Un épisode durant la guerre de Sécession)
combattants, c’est ce qu’ils sont. »
Humble et admiratif, il termina la phrase en aspirant profondément l’air. Plusieurs fois il se tourna vers l’adolescent pour recevoir des encouragements. Il n’en reçu aucun, mais graduellement il parut comme absorbé par son sujet.
– « Je parlais, à un garçon de la Géorgie, par delà les piquets de garde une fois ; et ce garçon il me disait : « Vos types détaleront comme des lièvres dès qu’ils entendront le canon » qu’il disait.
– « Peut-être bien que oui » que je répondais. « Mais je n’en crois rien » que je lui disais. « Allez au diable ! C’est p’ être vos types qui vont s’défiler quand ils entendront le canon » que je lui disais.
Il s’esclaffa : « Hé bien, ils ne se sont pas défilés aujourd’hui, n’est-ce pas, hein ? Non-monsieur ! Ils se sont battus encore et encore ! »
Sa face laide était inondée de tendresse pour l’armée, qui pour lui était chose belle et puissante.
Après un temps il se tourna vers l’adolescent : « Où qu’t’as été touché mon pov’ gars ? » demanda-t-il d’un ton fraternel.
Instantanément l’adolescent se sentit pris de panique à cette question, quoiqu’au début il n’en mesurât pas toutes les conséquences.
– « Quoi ? » demanda-t-il.
– « Où qu’t’as été touché ? » répéta l’homme aux haillons.
– « Hé bien… » commença l’adolescent « Je… Je… C’est pourquoi… Je… »
Il se détourna subitement, et glissa à travers la foule. Il avait le front cramoisi, et ses doigts tripotaient nerveusement l’un des boutons de sa veste. Il pencha la tête, et le fixa des yeux avec une grande attention, comme s’il y avait là un petit problème.
L’homme aux haillons le suivit avec des yeux étonnés.
CHAPITRE NEUVIÈME
L’adolescent laissa passer la procession jusqu’à ce que le soldat en haillons ne soit plus en vue. Ce n’est qu’alors qu’il se remit à marcher avec les autres.
Mais il était parmi les blessés. La foule d’hommes saignait. À cause de la question du soldat en haillons, il sentait maintenant que sa honte était visible. Tout le temps il jetait des regards de côté pour voir si les hommes voyaient son crime écrit en lettres brûlantes sur son front.
Par moments il considérait ces blessés avec une certaine envie : il concevait qu’on puisse être singulièrement heureux avec un corps déchiré. Il souhaita lui aussi avoir sa blessure, l’insigne rouge de son courage.
Comme la figure même du reproche, il y avait à ses côtés le soldat qui marchait à grands pas, raide comme un spectre. Les yeux de l’homme restaient toujours fixés sur l’inconnu. Sa face effrayante et grise attirait l’attention de la foule, et les hommes ralentissaient leur marche pour se mettre au rythme de son pas triste. Ils discutaient de son état lamentable, lui posant des questions et lui donnant des conseils. D’un air buté, il les repoussait, leur faisant signe de s’en aller et de le laisser tranquille. Les cernes de son visage noircissaient et ses lèvres serrées paraissaient retenir le cri d’une grande détresse. La sorte de raideur dans les mouvements de son corps semblait due au fait qu’il prenait d’infinies précautions pour ne pas réveiller ses blessures douloureuses. Alors qu’il avançait, il paraissait chercher un endroit, comme quelqu’un qui va choisir son tombeau.
Quelque chose dans le geste de l’homme, quand il chassa les soldats ensanglantés qui s’apitoyaient, fit sursauter l’adolescent comme si on l’avait mordu. Il cria d’horreur. En titubant, il avança et posa sa main tremblante sur le bras de l’homme. Alors que ce dernier tournait lentement sa figure de cire vers lui, l’adolescent hurla : « Mon Dieu ! Jim Conklin ! »
Le soldat de grande taille tenta un petit sourire poli : « Salut Henri, » dit-il.
L’adolescent, balançant sur ses jambes, le fixa avec des yeux fous. Il bégayait, il balbutiait : « Oh… Jim… Oh… Jim. »
Le soldat de grande taille tendit sa main ensanglantée, portant un curieux mélange de noir et de rouge, dû au sang frais qui coulait sur les caillots déjà secs.
– « Où as-tu été Henri ? » dit-il. Et poursuivant d’une voix monotone : « j’ai cru que peut-être tu avais été tué. On a encaissé un sacré coup aujourd’hui. Je me suis beaucoup
Weitere Kostenlose Bücher