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Le Signe rouge des braves (Un épisode durant la guerre de Sécession)

Le Signe rouge des braves (Un épisode durant la guerre de Sécession)

Titel: Le Signe rouge des braves (Un épisode durant la guerre de Sécession) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Crane
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renversés comme des éboulis de rivière séchant au soleil : le lit du dernier torrent était rempli de chevaux morts et de morceaux éclatés d’armes de guerre.
    Finalement, il sentit sa blessure se calmer et s’alléger. Néanmoins, il s’empêcha d’aller plus vite, craignant de la réveiller. Il évita le moindre mouvement à sa tête, prenant de nombreuses précautions afin d’éviter un faux pas. Il était très anxieux, et par anticipation son visage s’étirait en pensant à la douleur atroce qui suivrait tout faux pas dans les ténèbres.
    En marchant, ses pensées se concentraient intensément sur sa blessure. Il y avait tout autour une sensation liquide et fraîche ; et il imagina le sang couler lentement par ses cheveux. Sa tête parut avoir gonflé au point qu’il pensa que son cou n’était plus fait pour elle.
    Cesser d’avoir mal l’inquiétait davantage. Les petites voix aiguës de la douleur, pensait-il, qui criaient depuis le sommet de sa tête, exprimaient clairement le danger. Par elles il croyait pouvoir mesurer l’étendue de son mal. Mais quand elles gardèrent un silence menaçant, il s’en effraya, imaginant des doigts terribles qui lui agrippaient le cerveau.
    Ce qui ne l’empêcha pas de penser à différentes choses qu’il avait faites dans le passé. Il se rappelait certains repas que sa mère avait cuisinés à la maison, et ceux dont il raffolait particulièrement occupaient la place d’honneur. Il voyait la table mise, les murs en bois de sapin qui luisaient doucement à la lumière du foyer. Il se rappelait aussi l’habitude qu’ils avaient prise, ses compagnons et lui, d’aller sur la berge ombragée d’un étang, à leur sortie d’école. Il voyait ses vêtements jetés en désordre sur l’herbe de la rive. Il sentait les éclaboussures de l’eau parfumée sur son corps. Le feuillage de l’érable qui les surplombait bruissait sous le vent la mélodie d’un été plein de jeunesse et de fraîcheur.
    À présent une lassitude irrésistible l’envahissait. Sa tête penchait vers l’avant et ses épaules s’affaissaient comme s’il portait une lourde charge. Ses pieds traînaient sur le sol.
    Il tenait sans cesse des arguments : se coucherait-il en s’étendant dans quelque endroit proche, ou se forcerait-il à marcher jusqu’à ce qu’il atteignît quelque havre. Il essayait de se débarrasser de la question, mais son corps persistait toujours dans la désobéissance et ses sens l’ennuyaient constamment.
    Enfin, il entendit une voix réconfortante tout près de son épaule :
    – « Tu parais dans un sale état mon garçon ? »
    L’adolescent ne leva pas la tête, mais acquiesça, la bouche épaisse : « Oui !… »
    L’homme à la voix riante le prit fermement par le bras : « Hé bien, » dit-il avec un gros rire, « je vais dans ta direction. Toute l’équipée va dans ta direction. Et je crois que je peux te donner un coup de main. » En marchant, il avait l’air d’un homme ivre aux bras d’un ami.
    Comme ils avançaient, l’homme interrogea l’adolescent et l’aida dans ses réponses comme s’il parlait à un enfant. Parfois il introduisait des anecdotes.
    – « De quel régiment es-tu ? Hein ? Lequel est-ce ? Le 304e de New York ? Hé bien de quel corps est-ce ? Oh, c’est ça ? Je croyais qu’ils ne s’étaient pas battus aujourd’hui… ils sont là-bas vers le centre. Oh, ils y ont été hein ? Alors, presque tout le monde a eu sa part du combat aujourd’hui. Par Dieu ! Je me suis donné pour mort pas mal de fois. On tirait, on hurlait de partout ; il faisait un noir d’enfer, au point où je ne savais plus de quel côté j’étais pour sauver mon âme. Parfois je croyais sûrement me trouver avec ceux de l’Ohio, parfois je jurais être du méchant bout, avec ceux de Floride. C’était la situation la plus diablement confuse que j’aie jamais vue. Et dans toute cette forêt, il y avait une pagaille énorme et constante. Ce serait un miracle si l’on retrouve nos régiments cette nuit. Mais très bientôt on va rencontrer des tas de gardes et de gendarmes, et je ne sais quoi d’autres. Hé ! En voilà qui partent avec un officier, je crois. Regarde sa main qui traîne. Je parie que des combats il en a eu jusque-là. Il ne voudra plus beaucoup parler de sa réputation et tout quand ils vont lui scier la jambe. Pauvre type ! Mon frère porte la même moustache. Au fait comment que t’as

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