Le Signe rouge des braves (Un épisode durant la guerre de Sécession)
mieux. »
L’adolescent contempla son ami avec reconnaissance. Sur sa tête enflée et douloureuse, le tissu froid était comme la tendre main d’une femme.
– « Tu ne dois ni crier, ni rien dire, » remarqua son ami satisfait. « Je sais que je suis maladroit à soigner les malades, mais tu n’as pas rouspété. T’es un bon malade Henri. La plupart d’entre nous seraient depuis longtemps à l’infirmerie… Une balle qu’on reçoit sur la tête, on plaisante pas avec. »
L’adolescent ne fit aucun commentaire, mais commença à tripoter les boutons de sa jaquette.
– « Allons, viens maintenant » continua son ami, « viens. Je dois te mettre au lit, et faire en sorte que tu aies une bonne nuit de repos. »
L’autre se releva avec précaution, et le jeune soldat à la voix forte le mena parmi les formes endormies par groupes ou par rangées. À présent il se penchait pour prendre ses couvertures. Il étendit celle en caoutchouc sur le sol, et couvrit les épaules de l’adolescent avec celle qui est en laine.
– « Voilà, maintenant, » dit-il, « étends-toi et dors un peu. »
L’adolescent obéissant et docile, se pencha avec précaution comme une vieille femme. Il s’étendit avec un murmure de soulagement et de réconfort. Le sol parut comme la plus douillette des couches. Mais subitement il lâcha : « Attend une minute ! où vas-tu te coucher toi ? »
Son ami secoua la main avec impatience : « Juste là à côté de toi. »
– « Oui, mais attend, » continua l’adolescent, « sur quoi vas-tu dormir ? J’ai ton… »
Le soldat à la voix forte grogna entre ses dents : « Couche-toi et la ferme. Ne sois pas un damné imbécile » dit-il sévèrement.
Après cette réprimande, l’adolescent ne dit plus rien. Une exquise somnolence l’envahissait. La chaleur réconfortante de la couverture l’enveloppait d’une douce langueur. Sa tête s’affaissa sur ses bras repliés, et ses lourdes paupières s’abaissèrent sur ses yeux. Entendant un lointain éclat de mousqueterie, il se demanda machinalement si ces hommes dormaient parfois. Il lâcha un long soupir, se lova confortablement dans ses couvertures, et en un moment il était endormi comme ses camarades.
CHAPITRE QUATORZIÈME
Quand l’adolescent s’éveilla, il lui sembla avoir dormi pendant des siècles et il se sentit ouvrir les yeux sur un monde neuf et surprenant. Des nappes de brouillard grisâtre se déplaçaient devant les efforts des premiers rayons de soleil. Et l’orient était sur le point de dévoiler sa splendeur. Des gouttes de givre lui glaçaient le visage, et immédiatement à son réveil il se lova tout au fond des couvertures. Il fixa un moment le feuillage au dessus de sa tête, qui remuait sous le souffle héraldique du jour.
Dans le lointain se faisaient entendre le grondement et les explosions d’une bataille. Il y avait dans ces bruits étouffés une insistance déprimante, comme s’ils n’avaient pas commencé et n’allaient pas finir.
Autour de lui les rangées et les groupes d’hommes vaguement aperçus durant la nuit, profitaient des dernières bouffées de sommeil avant de se lever. La douce lumière de l’aube mettait en évidence les traits exténués et maigres, et les visages poussiéreux : mais donnait des teintes presque cadavériques à la peau des hommes, et faisait apparaître sans vie leurs membres emmêlés. L’adolescent se leva avec un petit cri quand ses yeux glissèrent une première fois sur cette masse d’hommes pâles et sans mouvements, éparpillés sur le sol en tas serrés, dans des postures étranges. Son esprit perturbé lui faisait voir le sous-bois comme un charnier. Un instant il se crût parmi les morts, et n’osa bouger de peur que ces cadavres ne se lèvent et se mettent bruyamment à crier et gémir. Toutefois, il retrouva ses esprits en une seconde, et lança un juron compliqué sur lui-même. Il comprenait que le sombre tableau qu’il vit n’était pas la réalité présente, mais une simple vision.
Alors, il entendit le crépitement sec d’une flamme dans l’air froid, et tournant la tête, il vit son ami occupé à se démener autour d’un petit feu. Quelques autres silhouettes rares se mouvaient dans le brouillard, et il entendit le craquement sec et fort de coups de hache.
Il y eut soudain le son creux d’un roulement de tambour. Un cor lointain chanta vaguement. Les mêmes sonorités, variant dans
Weitere Kostenlose Bücher