Le Signe rouge des braves (Un épisode durant la guerre de Sécession)
s’en alla. L’adolescent resta immobile au sol comme un paquet. Il fixait les flammes d’un regard vide.
Après un moment il reprit quelque peu conscience, et les choses autour de lui commencèrent à prendre forme. Dans les profondes ténèbres, il vit que le sol était parsemé d’hommes étendus dans toutes les postures imaginables. Scrutant les ténèbres plus lointaines il vit, en quelques coups d’œil rapides, apparaître des visages pâles et fantomatiques, doués d’une lueur phosphorescente. Les traits de ces visages exprimaient la profonde torpeur des soldats rompus par la fatigue. Ce qui leur donnait l’air d’hommes enivrés par le vin. Ce coin de forêt aurait pu paraître, pour un promeneur invisible, comme une scène venant après quelque effrayante débauche.
De l’autre côté du feu l’adolescent observa un officier endormi, assis le dos tout à fait droit appuyé contre un arbre. Il y avait quelque chose de risqué dans sa position. Perturbé par des rêves, peut-être, il vacillait en sursautant et en faisant de petits bonds, comme un grand-père dans son coin de cheminée agité par les effets d’un grog. Son visage était poussiéreux et souillé de taches. Sa mâchoire inférieure pendait comme si elle n’avait plus la force d’assumer une position normale. Il était l’image même du soldat exténué après une orgie guerrière.
De toute évidence, il s’était couché avec son épée sur le bras. Et l’homme et l’épée s’étaient endormis dans cette embrassade, et le moment arriva où l’épée glissa au sol sans qu’il ne s’en rendît compte. La poignée dorée était posée en contact avec l’une des bordures du feu.
Dans le périmètre éclairé par la lumière orangée et rose du bois qui brûlait il y avait d’autres soldats, ronflant et respirant avec bruit, ou étendus comme dans un sommeil de morts. Quelques paires de pieds pointaient, rigides et droits. Les bottes montraient la boue ou la poussière des marches ; et des bouts de pantalons roulés, sortant des couvertures, montraient des lambeaux et des déchirures dues aux accrocs, lors des passages précipités à travers les denses fourrés.
Le craquement du feu avait comme un rythme musical. Une légère fumée s’en dégageait. Le feuillage des arbres remuait doucement au dessus des têtes, et les feuilles dont la face était tournée vers le feu portaient, de manière intermittente, des teintes d’argent fréquemment borées de rouge. Plus loin sur la droite à travers une ouverture dans la forêt, on pouvait voir une poignée d’étoiles, posées comme des pierres scintillantes sur l’écran noir de la nuit.
Par moment, dans cette sorte de salle à la voûte basse, un soldat se levait et changeait de position ; l’expérience du sommeil lui ayant appris le caractère inégal et incommode du sol sur lequel il se trouvait. Ou peut-être se mettait-il sur son séant, pour regarder le feu un moment en clignant des yeux d’un air bête et en jetant des coups d’œils rapides à son compagnon prostré, se blottissait alors à nouveau avec le grognement satisfait d’un homme repris par le sommeil.
L’adolescent resta assis comme un tas abandonné, jusqu’à ce que son ami, le jeune homme à la voix de stentor, revienne, balançant deux gourdes par leurs fins colliers : « Hé bien, alors Henri mon vieux » dit ce dernier. « Dans juste une minute nous allons t’arranger. »
Il avait les manières intempestives d’un infirmier amateur. Il s’activa nerveusement autour du feu, remuant les branches pour avoir le maximum de clarté. Il fit abondamment boire à son malade de la gourde contenant le café. Ce furent pour l’adolescent des gorgées délicieuses. Il penchait la tête loin en arrière et tenait longuement la gourde sur ses lèvres. La fraîche mixture descendit comme une caresse le long de sa gorge irritée. Ayant fini, il soupira avec un grand soulagement de plaisir.
Le jeune homme à la voix de stentor contemplait son camarade avec satisfaction. Un moment plus tard, il tira un énorme mouchoir de sa poche. Il le plia en manière de bandage, et versa un peu d’eau de l’autre gourde juste au milieu. Il mit ce pansement grossier sur la tête de l’adolescent, attachant les bouts en un nœud bizarre sur la nuque.
– « Voyons, » dit-il, en reculant un peu pour estimer son ouvrage. « T’as l’air d’un sacré diable, mais je parie que tu te sens
Weitere Kostenlose Bücher