Le Signe rouge des braves (Un épisode durant la guerre de Sécession)
leur puissance selon leur éloignement, arrivaient par delà la forêt. Les cors s’appelaient les uns les autres comme des coqs de combat. Le tonnerre proche des tambours du régiment roula.
La masse humaine se trouvant dans le bois remua. Les têtes se levèrent ensemble. Un long murmure de voix éclata dans l’air, rempli de jurons lâchés à voix basse. On s’adressa à d’étranges déités pour condamner ces heures matinales si nécessaires pour redresser le conflit. La voix de ténor péremptoire d’un officier résonna pour activer les mouvements engourdis des hommes. Les membres se démêlèrent. Les visages aux teintes cadavériques étaient cachés par des poignées se tortillant lentement sur des yeux : c’était le bain matinal du soldat.
L’adolescent se mit sur son séant, et donna libre cours à un bâillement énorme : « Tonnerre ! »lâcha-t-il d’un air maussade. Il se frotta les yeux, et alors levant la main, il tâta avec précaution le bandage de sa blessure. Son ami, s’apercevant qu’il s’était levé, s’éloigna du feu :
– « Hé bien, mon vieux Henri, comment te sens-tu ce matin ? » demanda-t-il.
L’adolescent bailla encore, puis il allongea les lèvres en une petite moue. Sa tête en vérité il la sentait précisément comme un melon, et il avait une sensation désagréable à l’estomac.
– « Oh, Seigneur, je ne me sens pas bien, » dit-il.
– « Tonnerre ! » s’exclama l’autre. « J’espérais que tu te sentirais mieux ce matin. Laisse-moi voir le bandage… Je crois que ça a glissé. »Il commença par essayer d’y remédier de façon malhabile sans y parvenir, jusqu’à ce que l’adolescent explose : « Bon sang ! » dit-il d’une voix irritée et coupante, « t’es l’homme le plus pendable que j’ai jamais vu ! T’as des moufles dans les mains ou quoi. Pourquoi, pour l’amour du ciel, n’y vas-tu pas plus doucement ? Si tu continues comme ça tu vas m’achever. Maintenant, vas-y doucement, et ne fait pas comme si tu allais accrocher un tapis. »
Il s’enflammait en commandant son ami avec insolence, mais ce dernier répondait avec douceur : « Allons, allons, viens maintenant, et prend un peu de nourriture », dit-il. « Alors peut-être tu te sentiras mieux. »
Près du feu, le jeune soldat à la voix forte veilla aux besoins de son camarade avec soin et tendresse. Il était très occupé à mettre en ordre les petites tasses noires en fer, qui erraient ça et là, y versant une mixture fluide aux tons métalliques prise dans un petit sceau en fer noirci par la fumée. Il avait un peu de viande fraîche, qu’il grilla en hâte sur une baguette. Il s’assit alors et contempla gaiement l’adolescent qui mangeait avec appétit. Ce dernier pris note du remarquable changement de son camarade, depuis ces jours de vie de camp au bord de la rivière. Il ne semblait plus si occupé par l’ampleur de ses prouesses personnelles. Les petits mots qui blessaient sa façon de voir ne le rendaient plus si furieux. Il n’était plus ce jeune soldat à la voix tonnante. Maintenant il y avait tout autour de lui un air de belle confiance. Il montrait une foi tranquille en ses capacités à poursuivre un but. Et cette confiance intérieure lui permettait de toute évidence d’être indifférent aux petits mots blessants que les autres lui jetaient.
L’adolescent était pensif. Il avait pris l’habitude de voir son camarade en enfant tapageur d’une audace due à son inexpérience, à son manque de réflexion, son entêtement, sa jalousie ; tout ça avec un courage de carton-pâte. Un arrogant bambin habitué à parader devant le portail de sa maison. L’adolescent se demandait d’où lui venait ce nouveau regard, alors que son camarade faisait la grande découverte que tellement d’hommes eussent refusé de se soumettre à ses soins. Apparemment l’autre avait grimpé sur un sommet de la sagesse, d’où il se percevait comme une chose très insignifiante. Et l’adolescent vit que désormais il lui serait plus facile de vivre dans son voisinage.
Son camarade posa la tasse de café, – si noircie qu’elle paraissait d’ébène –, en équilibre sur ses genoux : « Hé bien Henri, » dit-il. « Qu’est-ce que tu penses des chances qu’on a ? Tu crois qu’on va les battre ? »
L’adolescent resta un moment pensif : « Avant-hier » répondit-il finalement, avec un air provocant, tu aurais
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