Le Signe rouge des braves (Un épisode durant la guerre de Sécession)
faisait perdre la voix.
Maintenant l’adolescent sentait qu’il pouvait à peine se tenir sur ses jambes. Subitement ce qui lui restait de force l’abandonnait. Il pensa devoir se hâter à produire un mensonge pour se protéger des traits déjà sur les lèvres de son redoutable camarade. Aussi, tout en vacillant devant le soldat à la voix forte, il commença par dire : « Oui, oui… j’ai… j’ai passé d’horribles moments. J’ai été un peu partout. Je viens de ce côté sur la droite. Des combats terribles par là. J’ai passé d’horribles moments… J’ai été séparé de mon régiment. Par là sur la droite. J’ai été touché. À la tête. Je n’ai jamais vu pareil combat. C’était terrible. Je ne vois pas comment j’ai pu être séparé de mon régiment. J’ai été touché, oui. »
Son ami s’était vivement rapproché : « Quoi ? Touché ? Pourquoi ne l’avoir pas dit d’abord ? Pauvre vieux, on doit… patiente un moment, qu’est-ce que je fais. Je vais appeler Simpson. »
À ce moment-là, une autre silhouette se dressa dans l’obscurité. Ils reconnurent le caporal.
– « À qui parles-tu Wilson ! » demanda-t-il. Il y avait de la colère dans sa voix « À qui parles-tu ? Maudite sentinelle que t’es… hé bien… salut Henri, c’est toi ça alors, je t’ai pris pour mort il y a un bon moment ! Sainte Jérusalem, à chaque quart d’heure ou presque on en voit un qui réapparaît ! En comptant bien nous avions perdu quarante-deux hommes, mais s’ils se mettent à revenir comme ça, au matin on aura déjà toute la compagnie au grand complet. Où étais-tu ? »
– « Par là à droite. J’ai été séparé… » commença l’adolescent avec précipitation. Mais son ami l’interrompit vivement : « Oui, et il a été touché à la tête, il est mal en point, on doit l’examiner immédiatement. » Mettant son fusil sous son aisselle gauche, de son bras droit il soutint l’adolescent par l’épaule.
– « Hou ! ça doit faire très mal, » dit-il.
L’adolescent pencha lourdement sur son ami : « Oui ça fait mal… ça fait très mal, » répondit-il. Sa voix trembla.
– « Oh, » dit le caporal. Il soutint l’adolescent par le bras pour l’aider à avancer. « Allez viens, Henri, je prendrais soin de toi. »
Comme ils avançaient, le soldat à la voix de stentor cria après eux : « Simpson, laisse-le dormir dans mes couvertures. Et… attends une minute… voilà une gourde. Elle est remplie de café. Regarde sa tête à la lueur du feu, et vois de quoi ça a l’air. Peut-être que ç’en est une de mauvaise. Quand je serais relevé dans quelques minutes, je viendrais pour veiller sur lui. »
L’adolescent avait les sens si engourdis que la voix de son ami résonna comme dans le lointain, et qu’il pouvait à peine sentir la pression du bras du caporal. Il se soumettait passivement à la direction ferme de ce dernier. Comme auparavant, sa tête s’affaissait sur sa poitrine et ses genoux tremblaient. Le caporal le conduisit près d’un grand feu : « Maintenant, Henri » dit-il « voyons un peu ta vieille tête. »
L’adolescent s’assit avec obéissance, et le caporal, mettant son fusil de côté, commença à farfouiller dans la chevelure touffue de son camarade. Il fût obligé de lui tourner la tête de façon à ce que la lueur du feu tombe directement sur elle. Il tordait la bouche d’un air sceptique ; serrant les lèvres et sifflant entre ses dents, quand ses doigts furent en contact avec les taches de sang et la légère blessure.
– « Ah, nous y voilà ! » dit-il. Il poussa maladroitement son investigation plus loin. « Juste ce que je pensais, » ajouta-t-il. « Une balle t’a éraflé. Ça a levé une drôle de bosse, juste comme si un type t’avait cogné la tête avec une grosse matraque. Il y a un bon moment que ça s’est arrêté de saigner. Le pire avec ça, c’est qu’au matin tu verras qu’un képi à ta taille ne t’ira pas. Et ta tête sera toute agitée et brûlante de fièvre. Et tu te sentiras peut-être très malade demain au réveil. On ne peut jamais savoir. Encore que je n’y crois pas trop. C’est juste un sacré coup sur la tête et rien d’autre. Maintenant tu n’as qu’à t’asseoir ici sans bouger, pendant que je vais dénicher quelque chose pour te soulager. Alors je t’enverrais Wilson pour qu’il prenne soin de toi. »
Le caporal
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