Le soleil d'Austerlitz
château de Vincennes, où le duc d’Enghien sera enfermé à son arrivée de Strasbourg. Elle jugera sans désemparer le prévenu.
Il dit à Savary : « Tout doit être fini dans la nuit. »
C’est le 20 mars. Il marche seul dans le parc. Il faut que l’exécution suive le jugement. Pas d’atermoiements. L’opinion doit être saisie, stupéfaite, pétrifiée. Il répète : Frappée comme par la foudre.
Il entend un roulement de voiture sur les pavés. Il se retourne au moment où Fouché saute dans la cour.
Habile Fouché, qui, après avoir plaidé l’enlèvement, vient maintenant conseiller la prudence.
Trop habile Fouché ! Il va m’entendre.
— Je vois ce qui vous amène, dit Napoléon. Je frappe aujourd’hui un grand coup qui est nécessaire.
— Vous soulèverez la France et l’Europe si vous n’administrez pas la preuve irrécusable que le duc conspirait contre votre personne à Ettenheim, répond Fouché.
Napoléon a un mouvement de tout son corps.
C’est Fouché qui dit cela ! Lui, le mitrailleur de Lyon pendant la Terreur ! Lui !
— Qu’est-il besoin de preuve ? interroge Napoléon. N’est-ce pas un Bourbon, et de tous, le plus dangereux ?
Il s’éloigne. Fouché le suit dans l’allée, argumente.
— Vous et les vôtres, dit Napoléon avec mépris, n’avez-vous pas dit cent fois que je finirais par être le Monk de la France, et par rétablir les Bourbons ? Eh bien, il n’y aura plus moyen de reculer. Quelle plus forte garantie puis-je donner à la Révolution que vous avez cimentée du sang des rois ? Il faut d’ailleurs en finir. Je suis environné de complots. Il faut imprimer la terreur ou périr.
Napoléon s’éloigne vers les bâtiments au moment où arrivent les voitures de Talleyrand, de Cambacérès et de Lebrun, puis de Joseph Bonaparte.
Quoi qu’ils puissent dire, tous, je ne reviendrai pas sur ma décision.
C’est la nuit du 20 au 21 mars.
Il est seul.
Le général Hulin doit avoir ouvert le procès du duc d’Enghien.
Napoléon s’assied, trace quelques lignes. Qu’on les porte à Réal, qu’il se rende sur-le-champ à Vincennes pour interroger une nouvelle fois le prisonnier. Au bord de la fosse, les hommes parlent.
Peut-être sera-ce une chance pour le duc d’Enghien ? Si le destin le veut, je l’offre.
Il attend.
À huit heures, le 21 mars 1804, le général Savary entre dans le salon de Malmaison. Sur son visage, Napoléon lit la mort du duc d’Enghien.
— Pourquoi avoir jugé sans attendre Réal ? demande Napoléon.
Réal survient. Il est pâle. On lui a remis le pli trop tard. Il dormait.
— C’est bien, dit Napoléon d’une voix sourde.
Il leur tourne le dos.
Joséphine le suit, répète :
— Le duc d’Enghien est mort, ah ! qu’as-tu fait ?
Il dit d’une voix forte :
— Au moins, ils verront ce dont nous sommes capables. Dorénavant, j’espère qu’on nous laissera tranquilles.
Il leur fait face, à tous.
— J’ai versé du sang, reprend-il, je le devais, et j’en répandrai peut-être encore. Mais sans colère, et tout simplement parce que la saignée entre dans les combinaisons de la médecine politique.
Leurs yeux expriment l’effroi. Pourquoi refusent-ils de voir ce qui est ?
— On veut détruire la Révolution, en s’attaquant à ma personne, ajoute-t-il. Je suis l’homme de l’État, je suis la Révolution française et je la soutiendrai.
25.
Napoléon est debout, le dos à la cheminée. Il aime cette chaleur, cette odeur du bois qui brûle. Depuis qu’il est entré dans le salon de la Malmaison, qu’il s’est placé ainsi devant la cheminée, on n’ose pas s’approcher de lui.
Joséphine et Mme de Rémusat pleurent. Eugène de Beauharnais a la mine grave de quelqu’un qui déplore la perte d’un parent. Parfois, Joséphine dit à haute voix : « C’est une action atroce », et elle se tourne vers Napoléon.
Elles ont voulu que Savary leur fasse le récit des derniers instants du duc d’Enghien. Il a montré un anneau, une mèche de cheveux que le prince s’est coupée devant le peloton d’exécution, une lettre qu’il a écrite dans les fossés du fort de Vincennes, le genou plié, le tout destiné à la princesse de Rohan-Rochefort.
Ma mère a promis de transmettre ces souvenirs. Elle aussi porte le deuil du duc d’Enghien.
Qu’ils restent éloignés, ces pleureurs qui se comportent comme des enfants.
Des généraux arrivent, rejoints par des ministres et des
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