Le soleil d'Austerlitz
position de nous maintenir dans nos biens, dans nos dignités, dans nos emplois.
Fouché a rédigé un rapport qu’il a soumis au Sénat : « Le gouvernement de la France doit être confié à un seul homme dont la succession est assurée par un pouvoir héréditaire… », a-t-il écrit. Et le Sénat doit inviter le Premier consul « à achever son ouvrage en le rendant immortel comme sa gloire ».
Empereur.
Napoléon répète le mot. Il y songe depuis longtemps, peut-être depuis toujours, et voici que ce titre est à portée de main.
Il reçoit les membres du Sénat le 28 mars 1804. Il les écoute, demande à réfléchir encore.
Il est décidé pourtant mais, comme avant d’engager une bataille, il veut méditer encore.
Il se rend à la Malmaison, se promène seul dans le parc.
Hérédité ? Qui pour me succéder ?
Il voit Joseph. Celui-ci refuse de se laisser déposséder de ses droits au bénéfice de sa descendance. Et quand il apprend que Napoléon envisage d’adopter Napoléon-Charles, le fils d’Hortense et de Louis, il proteste. D’ailleurs, Hortense refuse l’adoption de son fils. Louis est fou de jalousie. Les rumeurs qui prétendent que Napoléon est le père de l’enfant le blessent, le rendent furieux. L’adoption, qui lui paraît les confirmer, est pour lui inacceptable.
Cela, ma famille !
Il va les avertir.
— Je ferai une loi qui me rendra au moins maître de ma famille ! s’écrie-t-il devant Joseph.
Il fait beau et frais. Il recommence à se rendre au château de Saint-Cloud, à se préoccuper de la Grande Armée, du projet de descente en Angleterre.
Et certaines nuits, Mlle George, accueillie par Constant, se glisse dans l’escalier qui conduit aux appartements privés de Napoléon.
Il l’attend mais elle le distrait moins. Il sait qu’elle raconte ses nuits avec lui, alors il espace les rendez-vous, accueille d’autres actrices, et parfois Mme de Rémusat.
Elle fait partie du cercle de Malmaison. Il peut parler avec elle. Il évoque la proposition du tribun Curée, votée par le Tribunal le 30 avril et qui proclame « Napoléon Bonaparte empereur, son successeur étant choisi dans sa famille ».
« Il ne nous est plus permis de marcher lentement, a dit Curée, le temps se hâte ; le siècle de Bonaparte est à sa quatrième année : la nation veut qu’un chef aussi illustre veille sur sa destinée. »
Imagine-t-elle cela ? demande-t-il à Mme de Rémusat. Puis, sans attendre sa réponse, il ajoute :
— Vous aimez la monarchie, n’est-ce pas ? C’est le seul gouvernement qui plaise aux Français.
Il sourit.
— Ceux qui m’appelleront Sire, murmure-t-il, seront cent fois plus à l’aise qu’aujourdhui.
Il s’approche d’elle. Il pourrait lui confier qu’il a vu le cardinal Caprara cet après-midi, afin de lui faire part de son désir d’être sacré empereur par le pape Pie VII.
Cette idée lui est venue il y a peu. Sacré par le souverain pontife, il sera réellement l’empereur légitime. Que pourront donc invoquer contre lui ces souverains qui font de la religion la pierre angulaire de leur pouvoir ?
— Je comptais, dit-il seulement à Mme de Rémusat, garder encore le Consulat deux ans. Mais cette conspiration a pensé remuer l’Europe : il a donc fallu détromper l’Europe et les royalistes. J’avais à choisir entre une persécution de détail et un grand coup.
Peut-elle imaginer un autre choix que celui qu’il a fait ?
Il a frappé un grand coup. Voilà ce qu’est l’exécution du duc d’Enghien.
— J’ai donc imposé silence pour toujours aux royalistes et aux jacobins.
Ils ont encore essayé d’accabler Napoléon lorsque, le 6 avril 1804, on a découvert le général Pichegru mort dans sa cellule de la prison du Temple, le cou garrotté. Crime de mamelouk, ont-ils dit, les uns et les autres, assassinat dont le but serait d’imposer le silence à un témoin gênant qui aurait pu dévoiler certains aspects du passé du Premier consul.
Mais la rumeur n’a rencontré que peu d’écho dans la nation.
— J’avais un tribunal pour juger Pichegru, dit Napoléon, des soldats pour le fusiller, Pichegru était la meilleure pièce à conviction contre Moreau, pourquoi l’aurais-je fait assassiner ?
Il a une moue de mépris :
— Je n’ai jamais rien fait d’inutile dans ma vie.
Pichegru s’est suicidé ! Qu’on expose son corps aux yeux de tous, qu’une enquête publique ait lieu.
Et que les chiens
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