Le soleil d'Austerlitz
violent, repousse sa table de travail.
Alexandre, qui a fait étrangler son père avec la complicité de l’ambassadeur d’Angleterre, sir Withworth, celui-là même qui plus tard, à Paris, intriguait, et que j’ai personnellement rabroué à la veille de la rupture de la paix d’Amiens, Alexandre prétend donner des leçons ? C’est cela, le monde ? C’est cela, le monde de la Russie et de l’Angleterre ? Si elles forment avec la Prusse, où l’on pleure aussi le prince de sang, une coalition, eh bien, nous la briserons .
La Valette entre, et Napoléon entend des voix et des soupirs de femmes.
— Que fait-on chez ma femme ? demande-t-il.
— Sire, on pleure.
Avant même qu’il puisse répondre, Joséphine pénètre dans le cabinet accompagnée de plusieurs personnes qu’elle semble protéger de ses deux bras ouverts. Une jolie femme en larmes se précipite aux pieds de Napoléon, l’implore, sanglote puis s’évanouit. Mme de Rémusat intervient, murmure qu’il s’agit de Mme de Polignac. La vieille Mme de Montesson, que Napoléon a connue autrefois lorsqu’il était élève à l’école de Brienne, appelle elle aussi à la clémence.
Quel intérêt prenez-vous donc à ces gens-là ? bougonne Napoléon.
Il entraîne Mme de Rémusat dans un angle de la pièce, cependant qu’on s’affaire autour de Mme de Polignac, qui réclame grâce pour son mari.
— Le parti royaliste, dit-il, est plein de jeunes imprudents qui recommenceront sans cesse si on ne les contient par une forte leçon.
Mme de Polignac approche, soutenue par Talleyrand.
Cette femme est émouvante et belle.
— Ils sont bien coupables, les princes qui compromettent la vie de leurs plus fidèles serviteurs sans partager leurs périls, dit Napoléon.
Il fait quelques pas. Le cabinet est maintenant rempli de femmes, Hortense, ses soeurs Caroline et Élisa. Il les écoute. Elles plaident pour l’un ou l’autre condamné, Lajolais, Bouvet de Lozier. Napoléon hésite. Il ne veut pas faire preuve de faiblesse. Puis, tout à coup, il lance à Mme de Polignac :
— Madame, c’est à ma vie qu’en voulait votre mari, je puis donc lui pardonner.
C’est aussi cela, être Napoléon I er , Empereur. C’est cela, ne pas être un Bourbon mais un homme qui a risqué sa vie.
Plus tard, Napoléon accorde d’autres grâces, autorise Moreau à quitter la France, et, avec les fonds de police, il fait acheter ses biens, la propriété de Grosbois et l’hôtel de Paris. Il octroie l’hôtel à Bernadotte, et Grosbois à Berthier. Se montrer généreux est aussi un acte politique.
Peut-être ces généraux-là lui en sauront-ils gré.
Le rideau est en train lentement de tomber sur le dernier acte. Reste Cadoudal. Il revoit la grosse tête de Georges. Elle va rouler dans le seau de son. Les bois de la guillotine sont déjà dressés sur la place de Grève.
Ce chouan a risqué sa vie. Cet homme a été courageux. Napoléon convoque Réal. Que le conseiller d’État explique à Georges que, s’il demande sa grâce, elle lui sera accordée.
Dans la soirée du 25 juin, Réal apporte la réponse. Cadoudal refuse.
C’est bien ainsi.
Le 26 juin 1804, Samson, dont le père trancha la tête à Louis XVI, décapite Cadoudal et douze de ses complices.
Napoléon marche seul dans le parc de Saint-Cloud. Il vient de lire le récit de l’exécution du chouan, Georges a crié : « Vive le roi ! », droit sur l’échafaud, un sourire aux lèvres.
Voilà un homme. Et celui-ci servira d’exemple à d’autres qui seront toujours dressés contre moi .
Napoléon se dirige lentement vers le château. Il va convoquer Fouché. Il faut un ministre de sa trempe à la tête de la Police générale de l’Empire.
Septième partie
Qu’est-ce que le mot Empereur ?
Un mot comme un autre !
Juillet 1804 – Décembre 1804
27.
Napoléon guette le moindre bruit. Il a ouvert la fenêtre de son appartement privé, situé au-dessus de son cabinet de travail. L’air de cette nuit de juillet 1804 est frais, chargé de l’humidité venue de la forêt qui entoure le château de Saint-Cloud. Napoléon va jusqu’à la petite porte qui donne sur l’escalier dérobé conduisant de son cabinet à l’appartement. Il est interdit à quiconque de l’emprunter sans son autorisation formelle.
Il écoute et il s’impatiente.
Pourquoi faut-il qu’il se cache ainsi ? Il en veut à Joséphine de l’obliger à ces petitesses qui sont indignes de
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