Le souffle du jasmin
tel
événement !
Le
brave ? Quel brave ?
Et Taymour
de lui expliquer qui était Zaghloul, et quel combat il livrait pour qu'enfin
les Anglais se décident à rendre l’Égypte aux Égyptiens.
Son père
avait bien voulu leur prêter la voiture, et c'est à bord de la Wolseley, sous
l'œil médusé des passants, qu'ils avaient traversé la ville jusqu'à ce haut
lieu de l'enseignement, Sorbonne du Moyen-Orient, déjà millénaire.
Là-bas,
sur l'estrade de fortune, le brave se
retirait. Bientôt, il serait avalé par la nuée d'admirateurs qui se pressaient
autour de lui.
—
Rentrons, proposa Taymour.
Ils se
frayèrent un chemin parmi la foule et prirent la direction du Khan el-Khalîl,
où la limousine les attendait. Étrangement, ni l'un ni l'autre ne parvenaient,
ni ne souhaitaient sans doute, rompre le silence.
Finalement,
alors qu'ils arrivaient en vue de la mosquée El-Hussein, Mourad murmura :
– Je te
sais gré de m'avoir fait vivre ces instants. Tout à coup, en écoutant Zaghloul,
l'impossible m'a paru possible. L'inaccessible, à portée de main. Tu me
comprends, n'est-ce pas ?
– Bien
sûr. Et je partage ton point de vue. Ce sont des hommes de cette trempe qui
nous permettent de croire que le droit et la justice pourraient triompher.
Après un
silence, il reprit d'une voix sourde :
– C'est
sûr, un jour les Anglais partiront d'Égypte.
Et
saisissant la main de son camarade, il ajouta avec ferveur :
– Et aussi
de Palestine. Demain, mon ami, demain !
*
– Où
étiez-vous passés ? Je commençais à me faire du souci !
Amira
Loutfi se tenait au sommet des marches, devant l'entrée de la villa, bras
croisés. Taymour prit le temps de remercier le chauffeur et de marcher sourire
aux lèvres jusqu'à sa mère. Tandis qu'elle réitérait sa question, il la serra
entre ses bras.
– Je
t'adore, maman ! Te faire du souci alors que j'ai presque vingt et un
ans ?
Pivotant
vers Mourad, il enchaîna :
–
N'est-elle pas la plus jolie des mamans ?
En
réalité, toute admiration filiale mise à part, la beauté d'Amira Loutfi, née
Khouzam, s'avérait incontestable. Elle appartenait à cette communauté de
chrétiens égyptiens, les coptes, qui, vaille que vaille, depuis l'invasion
arabe, tentaient courageusement de rester fidèles à leur foi. Une résistance
mise à rude épreuve : l'îlot planté au milieu d'un océan était
régulièrement battu par les flots.
Pour
épouser Farid, de religion musulmane, Amira aurait pu faire l'effort de se
convertir, ne fût-ce que pour être agréable à sa future belle-famille. Elle
n'en avait rien fait. Et, devant les (faibles) protestations que cela avait
soulevées, elle s'était contentée de rappeler le plus tranquillement du monde,
qu'aux yeux du Prophète il était parfaitement licite pour un musulman d'épouser
une femme appartenant aux « gens du Livre », juive ou chrétienne,
sans que celle-ci soit obligée de renier sa religion. De toute façon, elle
savait que ce n'était pas Farid qui lui chercherait noise : tout musulman
et sunnite qu'il était, et comme la majorité de ses amis, il lui arrivait de
boire et de jouer aux cartes. Après tout, l'interdiction de boire de l'alcool
avait été prescrite par le Tout-Puissant en des temps où les guerriers du
Prophète livraient bataille dans le désert arabique sous des températures
caniculaires. L'interdit, alors, était sage. Mille trois cents ans plus tard,
il devenait peu utile. Les califes, hommes de guerre pourtant, ne s'étaient
d'ailleurs pas privés de soirées d'ivresse et, ici même, en Égypte, l'un
d'entre eux, El-Zahir, n'avait-il pas promulgué un décret autorisant la
consommation du vin ? Les plus grands poètes arabes n'avaient-ils pas de
leur côté loué les bienfaits du sublime nectar ? Alors !
Quant aux
enfants du couple, Taymour et sa sœur Mona, ils avaient été élevés dans le même
souci d'acceptation de l'autre et se sentaient aussi respectueux de l'islam que
du christianisme ou du judaïsme. De toute façon, leur attitude s'accordait
parfaitement avec l'esprit de tolérance qui régnait alors en Égypte :
Radio Chalom diffusait ses informations quotidiennes, la synagogue Cha'ar Ha
Chamaïm, érigée rue Adly pacha, en plein cœur du quartier chic de la capitale,
ne désemplissait pas les jours de fête ; les cloches de Noël se
confondaient avec l'appel à la prière ; les voisins musulmans
participaient au dîner de
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