Le souffle du jasmin
qu’il était hors de question de
rejouer la partie ?
Mais il
n'y eut pas que Levent qui lui avait déplu. Cet individu, ce jeune arrogant que
l’on avait placé en face de lui, comme par provocation, comment s’appelait-il
déjà ? El-Galarni ? El-Galali ? Pour quelle mystérieuse raison
les Arabes étaient-ils toujours affublés de noms imprononçables ? Percy
n’avait retenu que le prénom du persifleur : Rachid. À l’instar de leur
hôte, lui aussi était vêtu à l’arabe, mais la
tête protégée par un turban noir.
– Envisagez-vous de rester longtemps parmi nous ? lui avait lancé
l’Irakien.
– Non, malheureusement. Je repars dans une huitaine de jours pour
Londres.
– Seul ?
Sir Percy avait froncé les sourcils.
– Seul ?
– Je veux dire, emmenez-vous dans vos bagages vos boys ou allez-vous les abandonnés sur les
berges du Tigre ?
Le jeune homme – il devait avoir vingt- six ans – s'était tout de suite empressé ajouter : Private joke [31]
– Vous avez de
l’humour, monsieur… ?
– El-Keylani. Rachid Ali el-Keylani.
C’était bien cela : imprononçable, avait songé sir Percy.
Comme s'il avait lu dans ses pensées, l'autre avait concédé :
– Mais vous pouvez m’appeler Rachid.
L'Anglais avait hoché la tête.
– Occupez-vous une fonction officielle à Bagdad ?
– Pas pour l'instant. Je termine ma dernière année de droit.
Et de conclure avec un sourire appuyé :
– Ensuite, je me consacrerai au non-droit.
Sir Percy n'eut pas le temps de s'interroger sur le sens de la p hrase ; l'Irakien questionna à
nouveau :
– Comment se porte notre commissaire ? Sir Arnold Wilson ne se
sent-il pas trop dépaysé loin du Clifton Collège, des Lanciers du Bengale, du
département indien ? Se retrouver du jour au lendemain à devoir gérer des
pays comme l’Irak doit être quelque peu (il hésita sur le terme)…
Déconcertant ?
– Des pays ? s'était étonné sir Percy.
Rachid avait gloussé, imité par le diplomate français qui, de toute
évidence, jubilait. Ce dernier prit d’ailleurs la parole et expliqua :
– Je ne vous ferai pas l’affront de vous rappeler que l'Irak est une mosaïque, sir P ercy. Vous avez d’a bord des races : Arabes, Kurdes,
Turkmènes, Turcs et même des Persans. Ensuite, des sectes : sunnites, chiites, chrétiens, nestoriens [32] et juifs. Les sun nites vouent une haine farouche aux chiites ; les Kurdes aux deux
camps ; les Turkmènes se débarrasseraient bien des Kurdes. Les chrétiens et les Juifs sont
à la rigueur tolérés et se tolèrent. Vous secouez le tout et vous obtenez une nation. Vous, les Anglais, appelez cela, je
crois un melting-pot. Un creuset. Entrer en Irak sans connaître
les méandres de son passé et son présent, c'est comme pousser un aveugle dans
un labyrinthe envahi de scorpions. On finit par en sortir, mais les pieds
devant.
Voulait-on lui infliger une leçon d'Histoire ?
Sir Percy répliqua avec une pointe de dédain :
– Cher monsieur Levent, dois-je vous appeler les propos du général Maude ?
« Les Anglais sont venus ici en libérateurs, non en conquérants. Nous nous
sommes engagés (il marqua une pause volontaire pour appuyer ce qui allait
suivre) aux côtés de la France, votre pays, à instituer un gouvernement national et une administration
locale librement élus et à assister les habitants dans cet objectif. Ensuite
nous nous retirerons. »
– Quelle générosité ! ironisa El-Keylani.
Le diplomate anglais afficha une moue condescendante et se tourna
ostensiblement vers son hôte, mettant fin à cet échange exaspérant.
Le dîner achevé, il assura – pour la forme — ses commensaux qu'ils
seraient les bienvenus à la résidence de sir Arnold Wilson, s'ils désiraient
émettre leur opinion sur le projet de référendum qui devait se dérouler dans le pays.
— Tout dépendra de la question, lança un invité.
– Il y en aura trois. Primo : Êtes-vous favorable à la
constitution d'un État arabe sous contrôle britannique et comprenant les vilayets de Mossoul, Bagdad et Bassorah ? Deusio : Si oui,
désirez-vous qu’un émir arabe dirige cet État ? Et enfin, dernière
question : Qui est cet émir que vous appelez de vos vœux ?
Un silence tendu succéda aux propos de l'Anglais. Personne n'était dupe : ce référendum servirait uniquement à légitimer la
présence anglaise. De plus, la population des vilayets évoqués ne constituait pas
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