Le souffle du jasmin
Pessah et, réciproquement, les Lévy partageaient avec
les Abdallah le mouton du Aïd el-Kébir.
– Alors,
répéta Amira, où étiez-vous ?
– À
l'université, répondit Taymour. Pour inscrire mon ami.
Il désigna
le Palestinien qui se tenait discrètement au pieu des marches.
– Mourad.
Mourad Shahid. Tu te souviens de lui, n'est-ce pas ?
– Hamdellah
a'isalama. Bienvenue. Comment vont vos parents ? Venez, venez,
entrez donc. Entrez.
En se
dirigeant vers le salon, Amira poursuivit :
– Vous
aviez une sœur, je crois ? Comment s'appelle-t-elle déjà ?
– Samia,
madame.
Elle
invita le Palestinien à s'asseoir dans l'un des fauteuils tapissés de velours
pourpre. À l'image de la ferme de Basse-Égypte, le mobilier frisait l'outrance.
Dorures et stuc, rideaux de satin et table de marbre, abat-jour de soie.
C'était la mode. On retrouvait quasi le même décor dans la plupart des
appartements bourgeois du Caire où les bergères, imitation Louis XVI,
flamboyaient sous les lustres en faux ou vrai cristal de Baccarat.
– Vous
boirez bien quelque chose ?
Avant que
Mourad n'ait eu le temps de répondre, elle saisit une clochette qu'elle fit
tinter à plusieurs reprises. Un domestique nubien apparut aussitôt sur le
seuil.
– Quatre
limonades, Ahmed. Bien glacées.
Taymour
objecta :
– Pour
moi, ce sera un café turc. Mazbout [27] .
– Nous
parlions de vos parents, reprit Amira. Ils habitent bien Jérusalem, n'est-ce
pas ?
– Non,
madame. Nous vivons à Haïfa. Ce sont mes grands-parents qui vivent à Jérusalem.
– Arrête
d'appeler maman madame, protesta Taymour. Tu es de la famille !
Il a
raison, approuva Amira.
– Je vous
remercie, ma tante [28] .
Elle
s'informa :
– La ville
était calme, aujourd'hui ?
– Elle
l'était, répliqua Taymour. Mais, à mon avis, ce n'est qu'un calme apparent.
–
Apparent ? Tu cherches à m'inquiéter ? Ce sont tes chenapans d'amis
qui vont encore semer le désordre ?
Elle leva
un doigt menaçant vers son fils, en ajoutant :
– Ton père
te l'a assez répété. Tu ferais bien de cesser de fréquenter ces fils de zabbaline [29] ! Ils mènent le pays à l'anarchie.
Elle prit
Mourad à témoin :
– Vous ne
pouvez imaginer les soucis qu'il nous donne, vous qui êtes son ami, vous
devriez essayer de le raisonner.
Le
Palestinien faillit répondre, mais la silhouette féminine qui venait
d'apparaître sur le seuil ne lui en laissa pas le temps,
– Bonjour
mère !
La
démarche gracieuse, Mona traversa le salon et embrassa Amira.
– Tu vas
bien, ma chérie ?
Elle
s'apprêtait à saluer son frère lorsqu'il lui lança, l'œil critique :
– Tu aurais
pu te changer avant de revenir à la maison ! Une fille de bonne famille ne
s'affiche pas en robe courte.
– C'est ma
tenue de tennis ! Nous avons joué chez Salwa et son chauffeur m'a
raccompagnée !
– Raison de
plus ! Seule avec un homme en voiture ! Que vont dire les gens ?
– Dis-moi,
Taymour, es-tu mon mari ? Mon père ?
– Je suis
ton frère aîné. J'ai le droit...
– Droit ?
Quel droit ? Je ne suis plus une gamine. J'ai dix-huit ans ! Quand
vas-tu te décider à vivre au XXe siècle ?
Bientôt, tu me demanderas de porter le voile comme les paysannes qui montent à
la ville ! C'est absurde !
– Ne me
parle pas sur ce ton...
– Calmez-vous !
s'interposa Amira. Vous vous comportez comme des gamins ! Que va penser
notre hôte ?
Elle
indiqua à sa fille :
– Voici
Mourad Shahid. L'ami de ton frère. Il arrive de Palestine et va passer quelques
mois avec nous.
Mona
tendit la main. Le Palestinien s'était déjà levé. Elle le fixa. Cet homme, le
connaissait-elle ? Elle aurait juré que si. Pourtant, elle était certaine
ne l'avoir jamais vu auparavant. Il serra sa main.
L'intensité de son regard la contraignit les yeux. Elle ne pouvait imaginer
qu'à ce moment précis il était dévoré du même feu.
– Enchanté, mademoiselle.
Elle s'éclaircit la gorge et articula :
– Soyez le bienvenu.
6
Sous le
nom de « Livre
d'Histoire » , nous
enseignons à nos enfants le calendrier criminel du monde.
Oscar Wilde.
Bagdad,
décembre 1918
Le soleil se noyait dans une mare d'or dont les gerbes tragiques
rejaillissaient plus bas, sur les eaux du Tigre, sous la terrasse fleurie de la
demeure de Nidal el-Safi.
Bagdad... La Ville ronde.
Si la cité avait perdu depuis des siècles sa
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