Le souffle du jasmin
abandonner le projet de création du foyer national
juif ?
En vérité, si le Palestinien avait pu décrypter les pensées de leur hôte, il aurait sûrement lu : « Une autre race. Jamais nous ne
pourrions nous mélanger à ces gens-là. »
Après les salutations
d'usage et les discours de bienvenue le doyen des patriarches,
Mgr Sayyour, prit la parole.
– Votre Excellence,
sachez que nous n'éprouvons aucune animosité à l'égard
des Juifs. S'ils souhaitent venir en Palestine en tant qu'hôtes ou réfugiés, ils sont les
bienvenus, mais c'est l’idée de voir notre
terre transformée en un foyer national juif qui nous est
intolérable. Nous ne pourrons jamais l'accepter.
Churchill
hocha la tête tout en mâchonnant son cigare.
– Dois-je
comprendre que les chrétiens de Palestine se considèrent comme des
Arabes ?
Mgr
Sayyour répondit sans se lever :
– Monsieur
le ministre, il n'y a pas d'hostilité entre les chrétiens et les musulmans. Les
siècles passés l'ont démontré. Il n’y en a jamais eu non plus entre les Juifs
et les Arabes. Dois-je
vous rappeler les temps bénis de Cordoue et Grenade ?
Churchill
haussa les sourcils, se demandant sans doute ce que
l'Espagne venait faire dans cette histoire.
Le mufti
se leva d'un seul coup :
– Monsieur
le ministre, si vous en doutiez, il est dit dans la sourate de l'Araignée du
Très Saint Coran, verset 46 : « Nous
croyons en ce qu'on a fait descendre vers nous et descendre vers vous, tandis
que notre Dieu et votre Dieu est le même, et
c'est à Lui que nous nous soumettons. »
Sa voix
frémit tandis qu'il ajoutait :
–
Permettriez-vous que nous, les Palestiniens, décidions du sort de l'Angleterre
en lieu et place des Anglais ? Permettriez-vous que nous, les Arabes,
décidions d'accorder une partie de votre royaume à des étrangers ?
Il n'y eut
pas de réponse. Le mufti poursuivit :
– Ni les
flottes ni les armées ne peuvent conquérir le cœur d'une nation mais
l'Angleterre pourrait conquérir celui des Arabes en leur garantissant
l'intégrité de leur pays ; elle épargnerait ainsi à ses contribuables tous
les millions de livres que réclame l'entretien de ses immenses armées. Si les
sionistes venaient en Palestine en simples visiteurs, il ne serait pas question
de Juifs ou de non-Juifs. C'est contre l'idée de transformer la Palestine en
une patrie pour les Juifs que nous nous insurgeons. Le fait que le Juif est juif
n'a jamais excité l'animosité de l'Arabe. Avant la guerre, les Juifs
jouissaient de tous les droits et privilèges du citoyen. La question n'est donc
pas religieuse.
Churchill
se pencha discrètement vers le gouverneur Storrs et demanda :
– Quelle
sourate a-t-il mentionnée ?
–
L'Araignée, monsieur. Je crois qu'il a parlé d'araignée.
Le titre
parut déconcerter Churchill. Il ordonna au gouverneur : « Notez-le, à
toutes fins utiles. » Il ajouta discrètement : « J’en parlerai
avec le colonel Lawrence dès mon retour à Londres. À propos, savez-vous qu'il a
été décoré de l'Ordre lu Bain ? »
Storrs secoua la tête. Il l'ignorait.
Comme il ignorait qu'à son retour à Londres, Lawrence avait provoqué un
scandale en refusant la décoration que lui présentait le roi George V, laissant
le monarque pantois, l'écrin entre les mains. Shocking ! s'étaient exclamées la cour et les autorités. Le soleil du désert avait
donc consumé l'esprit de cet aventurier ?
Ni la cour ni les autorités ne pouvaient savoir le tumulte qui grondait
dans la tête de l'infortuné lieutenant-colonel qui avait estimé que la seule
chose à faire était de refuser toutes les récompenses qu'avait pu lui valoir
son rôle d' « escroc à succès [69] ». Avant son retour en Angleterre, il avait même dû affronter une ultime
humiliation. Il s'était rendu à Djeddah, chargé d'assurer à l'émir Hussein,
chérif de La Mecque, qu'il pourrait conserver son royaume du Hedjaz à condition
toutefois qu'il renonçât aux droits qu'il prétendait faire valoir sur les pays
musulmans. Dans un accès de ferveur illuminée, le père de Fayçal s'était
proclamé en effet Commandeur des croyants, titre prestigieux qui fut celui de
Haroun el-Rachid, mais proclamation téméraire car elle lui avait valu la
vindicte des Wahhabites et du clan Ibn Séoud. La proposition s'était donc
heurtée à un mur. Hussein ne voulait plus rien entendre de la bouche de cet
Anglais plus inventeur de mirages que le
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