Le souffle du jasmin
désert lui-même et l'avait chassé de
sa tente.
Lawrence était revenu dans la capitale anglaise le cœur en pièces. Le grand royaume
arabe qu'il avait tant œuvré à fonder et espéré confier à Fayçal s'était réduit
à l'Irak. Les Anglais avaient cédé la Syrie aux Français, et la Palestine irait tôt ou tard aux sionistes. Des années durant, il s'était voué aux Arabes,
avait gagné leur confiance, donné sa parole. Mais les Anglais l'avaient
reprise. Son honneur était souillé. Comment avait-il pu être aussi naïf ? Non. Jamais, à aucun moment, il
n’avait été dupe. Il écrira plus tard : « Dès le début, il était év ident que, si nous
gagnions la guerre, nos engagements res tent lettre morte, et il aurait été honnête de
conseiller aux arabes de rentrer chez eux, de ne pas risquer leur vie pour des promesses
en l'air ; mais je me consolais avec l'espoir qu'en conduisant éperdument
ces gens à la victoire finale j'allais les placer, les armes à la main, dans
une position si assurée, sinon dominante, que les grandes puissances jugeraient
plus politique de réserver une solution équitable à leurs revendications. À ce
jour, il m'apparaît clairement que rien ne m'autorisait à les lancer à leur
insu dans une aventure aussi incertaine. J'ai pris le risque de les tromper,
convaincu que l'aide des Arabes était nécessaire à notre peu coûteuse et
prompte victoire au Moyen-Orient, et que mieux valait l'emporter et manquer à
notre parole que de perdre [70] . »
Le
lieutenant-colonel Lawrence avait donc décidé de disparaître. Changé
d'identité. L'agent de Sa très Gracieuse Majesté n'existerait plus désormais.
Il avait cédé la place à un dénommé John Hume Ross, de la Royal Air Force.
Le mufti
s'était rassis.
Le
gouverneur sir Ronald Storrs toussota pour tirer le ministre de sa torpeur.
Churchill
sursauta. Souleva ses cent vingt kilos et déclara d'une voix lente :
– Je vous
ai bien entendu, gentlemen. J'estime que vous exagérez quelque peu les tensions
à venir entre vos deux communautés. Vous verrez. Tout va bien se passer. Après
tout, Juifs et Arabes... Vous êtes un peu cousins, non ? En tout cas, il
n'est pas question que l'Angleterre mette fin à l'immigration juive et renonce
à la fondation du foyer national juif prévue par la déclaration de Balfour du 2
novembre 1917.
Il se
tourna vers le gouverneur et lança :
– Tea time, Storrs, isn't it ?
16
Le
bonheur s'écrit trop souvent à l'encre blanche sur des pages blanches.
Le Caire,
2 avril 1921
La noce
battait son plein. Non, pas la noce. La fin du monde, car un mariage en Orient
est toujours proche de la fin du monde. D'ailleurs, les funérailles aussi. D'un
côté les youyous à déchirer les tympans, de l'autre les cris des
pleureuses ; d'un côté la danse du ventre ; de l'autre les
contorsions figurant la douleur. La démesure, toujours et en tout. Amira Loutfi
était parvenue à organiser son mariage.
L'expression « stricte intimité » avait donc été bannie de la maison
pour céder la place au mot « faste ». Bien évidemment, elle avait
gardé pour elle l'aveu de Mona. Après tout, comme sa fille le lui avait fait
remarquer, ce ne serait pas la première fois qu'une femme accoucherait avant
terme. Mais il était temps. Les courbes de la jeune femme commençaient à trahir
sa grossesse.
Le matin
même, la fatiha [71] , la
cérémonie au cours de laquelle l'imam avait uni le couple, s'était déroulée
dans la villa de Guizeh en présence des parents. Ceux de Mourad, accompagnés de
Soliman et Samia, étaient arrivés une semaine plus tôt de Haïfa et vivaient
l'événement dans un état second. Lorsque Hussein avait reçu la lettre de son
fils lui annonçant son mariage, il
était resté muet, incapable de proférer un seul mot ; quant à Samia, elle s'était transformée
en fontaine de larmes avant de pousser des youyous enflammés comme si elle
avait voulu partager son bonheur avec toute la Palestine.
Et ce soir, le bonheur avait pris ses quartiers dans les somptueux
salons coloniaux de l'hôtel Shepheard’s que Loutfi bey avait loué pour
l'occasion.
Au centre de la salle, on avait érigé une kosha , une estrade sur laquelle on avait installé deux trônes pour les mariés,
afin que tous puissent les contempler, alors qu'autour d'eux une danseuse, le
nombril frémissant, ondulait sur le rythme de la mesure et
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