Le souffle du jasmin
administratives
s'impose.
– Avez-vous une idée du
découpage ?
– Oui. J'en ai parlé au général
Gouraud. Nous pourrions concevoir trois États qui feraient passer la Syrie
d'une superficie de 300 000 km 2 à 185 000 km 2 ,
donc un territoire plus facile à contrôler. En nous appuyant sur la communauté
chrétienne maronite, le premier État serait composé d'un « Grand
Liban ». Outre le pays chrétien traditionnel, il comprendrait la région de
Beyrouth, la plaine de la Bekaa, Tripoli, Sidon et Tyr, conformément aux
souhaits émis par les chrétiens, soucieux de la « viabilité » du
futur État libanais. Ce découpage territorial garantira une légère majorité à
la population maronite.
– Il sera évidemment contesté par
les musulmans sunnites, attachés pour leur part à l'idée d'une « Grande
Syrie » incluant naturellement la minorité chrétienne libanaise.
– Nous ne pouvons pas contenter à la fois le diable et le Bon Dieu.
– Cet État, nous lui accorderions
l'indépendance ?
– Pas dans l'immédiat.
Laissons-lui le temps de mûrir. Cinq ou six ans me paraissent un délai
acceptable.
– Vous avez mentionné trois États.
– Le deuxième serait l'État
d'Alep, constitué principalement de la ville d'Alep et de sa région. Et le
troisième, l'État de Damas, qui reposerait principalement sur la ville de Damas
et sa région. Ainsi, la Syrie serait dépossédée du Liban et de la Palestine,
donc plus aisée à gérer par
notre administration.
– La Palestine, grommela Aristide Briand. Parlons-en. Vous avez comme moi , j'imagine, suivis les dernières évolutions. Votre avis ?
– Une poudrière.
– C ' est aussi mon opinion. Si nos amis anglais persistent dans
leur volonté de créer ce foyer
national juif, je n’ose imaginer ce qui
se passera là-bas.
La voix du ministre avait légèrement tremblé en prononçant ces derniers
mots. Secrètement, il rêvait de mettre fin à tous les conflits en s'appuyant
sur la nouvelle organisation créée lors de la Conférence de la paix de 1919,
baptisée Société des Nations [64] Utopie ! Pourtant, l'homme avait déjà accompli certaines actions que d'aucuns
jugeaient irréalisables. Il était parvenu, entre autres, à mettre en place un
accord de fait entre la République laïque et l'Église, mettant ainsi un terme à
l'affrontement qui avait duré presque vingt-cinq ans opposant deux visions de
la France : l'une catholique royaliste et l'autre républicaine et laïque.
Onze ans plus tôt, bien que socialiste convaincu, il avait aussi eu le
courage de s'opposer aux fonctionnaires sur la question du droit de grève et
brisé une importante mobilisation des chemins de fer de l'Ouest.
Il reprit la parole.
– J'aimerais que vous retourniez en Syrie. Exposez à Gouraud votre vision
des choses. Dites-lui surtout que je la partage. Je vous ferai une lettre dans
ce sens. Ensuite, il serait bon que vous alliez faire un tour en Irak. Voyez
s'il n'est pas possible de court-circuiter les Anglais dans cette affaire de
pétrole. Vous êtes au courant, bien entendu, de leurs tractations.
Levent répondit par la négative.
Briand expliqua :
– L’ Anglo
Persian Oil , qui avait déjà négocié avec le
Shah une concession cédant à la Grande-Bretagne le contrôle des réserves
iraniennes pour une durée de soixante ans, contre la somme de 10 000
livres sterling, l’ Anglo Persian donc, envisage la création d'une société pétrolière réunissant
plusieurs sociétés rivales qui remplaceraient la TPC, la Turkish
Petroleum Company , afin d'exploiter les gisements au nord de Kirkouk. Vous comprendrez,
mon cher, qu'il n'est pas question que nous nous fassions doubler une nouvelle
fois ! La conférence de San Remo ayant accordé un contrôle britannique permanent de toutes les compagnies établies afin de développer le
pétrole irakien, nous avons réclamé les parts allemandes de la Turkish
Petroleum saisies comme propriétés de l’ennemi il
y a deux ans. Il est vital que, ces parts, nous les obt enions. Les 23 % qu’elles représentent seront attribuées à la
Compagnie française des pétroles [65] .
Levent ne put qu’approuver
Le seul motif de satisfaction qu’il retenait de cette discussion était pourtant bien loin des sujets traités : de retour en Orient, il aurait l’occasion de revoir Dounia.
15
Le
monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux
Weitere Kostenlose Bücher