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Le souffle du jasmin

Le souffle du jasmin

Titel: Le souffle du jasmin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Sinoué
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elle se déroba.
    – Attendez,
poursuivit-elle. Vous devez comprendre que je fais malheureusement partie de
ces êtres qui estiment que cette alchimie étrange que d'aucuns appellent
l'amour ne nous permet de grandir que si le sentiment passe par le reniement de
soi. Le bonheur est exigeant. Vous me comprenez ?
    Une ombre
envahit les traits du Français.
    – Je m'en
doutais. Je veux dire que je me doutais que vous condamniez ma façon de voir la
vie. Je me souviens parfaitement de vos mots : « Vous n'êtes pas donc
pas de ceux qui voudraient faire de ce monde un monde plus fréquentable. »
Pourtant, je vous ai expliqué ma position. Je suis au service de mon pays.
Comment pourrais-je envisager de le trahir ?
    – Le
trahir serait une hérésie. Mais vous pouvez comprendre aussi ma position. Je suis
irakienne. Et mon peuple est dans la souffrance. Je suis arabe, et mes frères
sont dans la souffrance. Alors ? Comment me partager entre eux et
vous ? Vous qui, dans les coulisses, quand ce n'est pas au grand jour,
contribuez à faire notre malheur. Vos raisons sont honorables. Je les respecte.
Mais ne me demandez pas de faire comme si elles n'existaient pas.
    – Dounia...
    – Vous tricotez et détricotez
nos pays comme s 'il s 'agissait de vulgaires pelotes de laine. Vous placez des
roitelets pantins, à
l'instar de ce pauvre Fayçal, sur des trônes pour mieux les renverser ensuite.
    Le ton de sa voix se fit plus âpre  :
    – Saviez-vous que M. Churchill ne verrait
aucun inconvé nient à gazer les Kurdes ?
    La surprise le laissa muet.
    – Oui, mon ami. Je tiens l'information de Nidal qui
l'a reçue du naquib qui, lui-même,
la tenait du haut-commissaire, sir
Percy Cox.
    – Gazer les Kurdes ?
    –
Absolument. Estimant sans doute impressionner le vieil El-Keylani, le haut -commissaire
lui a montré le
courrier signé de la main de Churchill,
recommandant – si besoin était – d'user
de gaz empoisonné à l'encontre de ce qu'il appelle « des tribus non civilisées ».
    Jean -François
se prit la tête entre les mains.
    Était -ce
possible ?
    – Donc,
tout est perdu entre nous, lâcha-t-il d'une voix sourde. Tant que je défendrais les
intérêts de la France, vous me
refuserez le droit de vous aimer. En deux mots, vous m'offrez une alternative insoluble :
vous ou mon devoir.
    – Non,
Jean-François, vous vous méprenez à nouveau. Jamais je n'oserais vous proposer
un choix aussi pervers. Je viens de vous le dire : vos motivations sont
honorables.
    – Ainsi, à
cause des obligations que nous impose notre conscience, nos cœurs devraient se
taire.
    – Il n'y a
pas que notre conscience, il n'y a pas que nos pays. Il y a aussi les hommes.
Tous les hommes. Je suis naïve, je l'admets. Je suis convaincue que nous devons
apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon tôt ou tard, nous mourrons
ensemble comme des idiots.
    Il baissa
les yeux et secoua un peu la tête comme s'il confessait son impuissance.
    – Vous
êtes une rêveuse émouvante. Une rêveuse tout de même.
    Il
emprisonna les épaules de l'Irakienne.
    — Vous me
parlez de vos frères qui souffrent. Qu’imaginez-vous ? Qu'ils seront
éternellement des victimes ? Un jour viendra, soyez-en sûre, où, de
victimes, ils se transformeront en bourreaux. C'est ainsi. La roue tourne. Le
monde tourne. Les faibles d'aujourd'hui sont les puissants de demain. On
appelle ce mouvement l'Histoire. En attendant, nous n'avons pas d'autre choix
que d'essayer de retarder le jour où nous, les puissants d'aujourd'hui,
passerons à la trappe. Permettez-moi au passage de vous rappeler que
M. Churchill n'est pas français et que, dans cette région du monde, la
France a été reléguée au second plan. Tout ce que nous tentons de faire, c'est
de grappiller quelques gouttes de pétrole pour que notre économie ne meure pas
de soif. Si vous estimez que ce que nous éprouvons l'un pour l'autre mérite de
mourir aussi, alors, comment pourrais-je vous convaincre qu'il s'agit d'un
gâchis ? Je vous aime, Dounia. Malgré vous, malgré nos différences, je
vous aime. Et contre cette fatalité non plus je ne peux rien. (Il se tut et la
considéra un moment, donnant l'impression de vouloir lire en elle.) Moi aussi,
je suis un rêveur, figurez-vous. Je me plais à croire que mon amour, ajouté au
vôtre, et à celui de tous les êtres qui s'aiment, serait une manière de vivre
et – pour reprendre vos termes – ne pas mourir ensemble comme des

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