Le souffle du jasmin
demie, la wahda
ou noss , ce tempo très
particulier qui intriguait tant les musiciens étrangers.
Dans une salle contiguë étaient exposés les cadeaux. Services
d'argenterie et de cristallerie, horloges et pendules, tapis de soie, un Coran
enluminé, de la porcelaine (anglaise, bien entendu), des nappes de dentelle...
une véritable débauche de richesses, pas toujours de très bon goût.
Parallèlement à la soirée, Loutfi bey avait organisé un souper pour les gens du
quartier de Guizeh et distribué de larges aumônes aux œuvres de bienfaisance de
sa mosquée favorite.
La seule note de tristesse concernait le sort de l'infortuné Saad
Zaghloul. Quelques semaines auparavant, les Anglais semblaient avoir pris
conscience des résistances du peuple. Une commission avait conclu qu'il était
temps de mettre fin au régime du protectorat et suggéré que les gouvernements
égyptiens et britanniques s'entendent afin de préserver leurs intérêts
respectifs.
Le cœur rempli d'espoir, Zaghloul et certains responsables de son parti
s'étaient donc rendus à Londres pour jeter les bases des termes du futur
traité. Malheureusement, les discussions tournèrent court. La Grande-Bretagne
ne consentait à renoncer au protectorat que contre la reconnaissance des
intérêts britanniques en Égypte et un droit de regard sur la nomination des
ministres. « Dans ce cas,
avait protesté le nationaliste, quelle différence avec le protectorat ? » Les négocia teurs anglais, le poupon rose Churchill en particulier, ne voulurent
rien savoir. Zaghloul et ses compagnons claquèrent la porte.
À son retour au Caire, le brave fut accueilli en héros, et un peu
partout dans le pays des manifestations de soutien se formèrent. Émeutes,
embrasements. Les troupes anglaises répliquèrent en ouvrant le feu sur les
manifestants, provoquant des dizaines de morts et de blessés. Furieux, le général Allenby, toujours
haut-commissaire, décida de défouler sa frustration sur celui qu'il avait
baptisé « l'empoisonneur » , responsable de tous les maux de Sa Majesté : Saad Zaghloul. La police britan nique débarqua à son domicile et on lui intima l'ordre de faire ses bagages
pour la seconde fois : direction Aden. Cependant, estimant
sans doute que c'était encore trop proche de l'Égypte, il fut expédié aux... Seychelles. Au moins, se dit Allenby, emprisonnée
là-bas, la harangue du nationaliste n'atteindrait pas l’Égypte. L'avenir
prouverait à l'Anglais qu'il se trompait.
Vers 1 heure du matin, Soliman vint réciter des vers fleuris sur le bonheur conjugal, arrachant des frissons aux mariés et lies sanglots aux parents.
Ah ! songea Hussein Shahid, en contemplant tous ces miracles, les
larmes aux yeux. Son fils s'était bien marié, Loutfi était un seigneur !
Et l'Égypte un grand pays.
*
Alep,
10 avril 1921
– Dounia, qu'ai-je fait qui méritait tant
de désintérêt ?
– Désintérêt ?
– Je vous ai écrit. Dix fois, vingt fois, je ne sais plus. Avant de
quitter la Syrie, c'était il y a deux ans déjà, n'ai-je pas tenté à plusieurs
reprises de vous revoir ? J'ai trouvé porte close. Alors ? Quel nom
donner à cette attitude, si ce n'est l’indifférence ?
Elle quitta le canapé où elle était assise depuis la venue du français et se dirigea vers la véranda. L'air
était doux et le ciel d’un
bleu admirable. Des senteurs de pins venus
de l'horizon s’engouffraient dans le salon.
Elle
répondit, dos tourné, fixant le paysage.
–
Détrompez-vous, Jean-François. L'indifférence, c'est la mort des
sentiments. Les miens n’ont jamais été aussi
vivants.
Elle se
retourna brusquement.
– Qu'attendiez-vous
de moi ? Vous avez du charme, de la prestance, vous êtes indiscutablement
brillant, et je connais peu de femmes capables de vous résister. Mais, et je le
déplore, vous et moi n'appartenons pas à la même famille.
– Je
pensais que...
– Que
j'étais attirée par vous ? Bien sûr. Dès le premier instant et je le suis
encore. Que vous avez occupé tous les recoins de mon esprit pendant des
semaines ? C'est exact. Que j'ai cru mourir un peu de votre absence ?
Oui. Qu'en lisant votre mot m'annonçant votre retour, je me suis précipitée
devant le premier miroir pour vérifier si, en deux ans, les rides ne m'avaient
pas trop enlaidie. C'est aussi la vérité, mais...
– Vous
n'avez jamais été aussi belle.
Il voulut
lui prendre la main ;
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