Le souffle du jasmin
qui les
regardent sans rien faire.
Albert
Einstein,
Le Caire, 1 er février
1921
– Enceinte !
Ma fille est enceinte ?
– Tu sais, mama, à vingt et
un ans ce sont des choses qui arrivent.
– Quoi ?
Les yeux
d'Amira se révulsèrent.
– Comment
oses-tu plaisanter ? Tu as encore le courage de faire de l'humour ?
Mais quelle sorte de fille ai-je enfantée ! Tu vas me tuer, tu m'as
tuée !
Elle
croisa les mains sur sa poitrine, renversa la tête en arrière, faisant mine de
suffoquer. Ou bien suffoquait -elle vraiment ?
– Allons, marna , où est le
problème ? Nous allons avancer la date du mariage, voilà tout !
Pourquoi te mets-tu dans cet état ?
– Pourquoi ?
Elle se
gifla à plusieurs reprises.
– Pourquoi ?
Pourquoi je me mets dans cet état ? Ton père ! Les amis ! La
famille ! Tu crois qu'ils ne savent pas compter ?
– Que
veux-tu dire ?
– Je veux
dire que tu es... enceinte (elle hoqueta une nouvelle fois, à
peine le mot prononcé) depuis un mois. Même si tu te mariais ce soir, tu
accoucherais dans huit mois ! Comment nous l'expliquerons ?
Hein ? Dis-moi ?
– Je ne serai ni
la première ni la dernière femme qui n'accouchera pas à terme.
Il n y a là rien d 'extraordinaire.
– Non ! Évidemment ! Mais seulement, tu ne vas pas te marier ce
soir. Pas avant trois à quatre semaines dans le meilleur
des cas.
– Quatre
semaines ? C'est absurde ! Nous pouvons parfai tement nous marier dans une huitaine de jours.
– Enti
magnouna ! Tu es une
malade mentale ! Un mariage, ça se prépare !
Il faut réserver la salle, l'orchestre, la danseuse, commander
la nourriture, les bonbonnières, impri mer les cartons d 'invitation
et...
– Non !
Nous ferons un mariage dans la plus stricte intimité. Ni danseuse, ni
orchestre !
Cette fois, la défaillance d'Amira ne fut pas feinte.
Elle s'affaissa sur sa chaise et s'évanouit.
*
Bagdad, 20 mars 1921
La demeure de Nidal el-Safi ressemblait à une ruche. Il y avait bien là une cinquantaine de personnes et, sur toutes les lèvres,
le même prénom revenant comme un leitmotiv : Fayçal, Fayçal...
Deux jours
plus tôt, au terme d'une Conférence sur le Proche-Orient convoquée au Caire par
Churchill dans le seul but d'organiser la région au profit de l'Angleterre [66] , une
nouvelle était tombée, faisant l'effet d'un coup de tonnerre : l'émir
Fayçal avait été désigné par les Anglais
roi d'Irak, tandis que son frère aîné, Abdallah, s'était vu offrir le titre
d'émir de Transjordanie, la partie de la Palestine située à l’est du Jourdain.
L'émir
Abdallah se révéla bien plus fin que les Anglais ne le soupçonnaient. Il
accepta ce royaume, proche de celui de son frère, fut-ce avec une flopée de
conseillers anglais qui prétendaient tout régenter. Il l'accepta, mais à une
seule condition ; que ce territoire fût interdit à l'immigration juive. Et
Churchill y consentit. La Palestine venait d'être coupée en deux et les sionistes
crièrent à la trahison.
Depuis cet
instant, à travers tout le pays, notables, ulémas, imams, gens de la rue n'en
finissaient pas de débattre.
Jean-François
Levent, arrivé la veille, n'avait pas imaginé qu'il se retrouverait aussi vite
plongé dans un chaudron en ébullition.
– Ils
pratiquent toujours leur vieille politique de la division, tonna un chef
sunnite assis à sa droite.
Des
murmures d'approbation et de consternation suivirent la déclaration. Plus d'un
Irakien se méfiait de ce roi qui allait débarquer à Bagdad dans les fourgons
anglais.
Chose
curieuse, Levent nota que l'un des rares à conserver son calme et même à
afficher un certain optimisme était Abdel Rahman el-Keylani, le naquib . Installé
près de son neveu, Rachid, il se contentait d'écouter, de dodeliner ou
d'émettre de temps à autre un grognement dont on n'aurait su dire s'il
traduisait son approbation ou l'inverse.
Un uléma
apostropha tout à coup le diplomate français :
– Vous y
comprenez quelque chose, au choix des Anglais ? Pourquoi avoir préféré Fayçal
à une personnalité irakienne ?
– Après
tout, ironisa Levent, ils lui devaient bien ça après les efforts qu'il a
fournis contre les Ottomans et l'humiliation subie à Damas.
– Est-ce la
seule raison ? s'informa Rachid el-Keylani. J'en serais étonné.
– Il en
existe une autre, en effet. Le prince entretient de bonnes relations, aussi
bien avec les
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