Le spectre de la nouvelle lune
aient été condamnés, ainsi que des femmes avec leurs enfants, à de cruels exils. Mais, en somme, on s’était attendu à bien pire. Ce que l’on craignait à présent, c’était que les puissants demeurés sur place ne soient plus féroces que les représentants du souverain et on en venait à regretter qu’ils s’en aillent.
Rafanel, au soulagement de l’abbé saxon, regagna Bourges la veille du départ des missi dominici et de leur escorte pour Aix, où il allait être conduit, ainsi que l’intendant Conrad, sous la surveillance de Sauvat. L’un et l’autre espéraient que l’appui d’Erwin leur assurerait la clémence du tribunal devant lequel ils devaient comparaître.
L’abbé saxon quitta le Berry en conservant de la Brenne un souvenir étrange, celui d’un pays dont il n’était pas parvenu à percer tous les mystères, notamment celui du spectre de la nouvelle lune, et en éprouvant un soulagement certain : cette mission, à plus d’un égard, avait été difficile et douloureuse. Il en évoquait souvent les péripéties tandis qu’il chevauchait à côté de Childebrand. En se remémorant les dangers surmontés et les difficultés vaincues, l’un et l’autre savouraient une amitié d’autant plus précieuse qu’elle avait paru un instant en péril.
Au couvent où elle était détenue, Agnès avait été accueillie et continuait d’être traitée comme une femme indigne et méprisable ; les religieuses ne perdaient pas une occasion de la maltraiter ni de l’humilier avec d’autant plus de hargne qu’elle avait conservé dans le malheur sa beauté et son charme. Cependant, quoi qu’on lui fit subir, elle gardait sa maîtrise et son calme. On ne laissait pas de s’en étonner : où puisait-elle cette force d’âme ?… Le soir, quand s’était refermée sur elle la porte de la cellule où elle était enfermée après une journée de pénibles travaux, elle portait les mains à son ventre avec un sourire, en murmurant :
— Ce sera un fils, j’en suis certaine, ton fils, Amric !
LA SOCIÉTÉ CAROLINGIENNE
L’EMPIRE
Étendue
En cet automne de l’an 804, où le comte palatin Childebrand et l’abbé saxon Erwin arrivent en mission dans le Berry, l’empire carolingien a acquis par conquêtes et alliances ses frontières définitives. Il s’étend de l’Italie centrale et de la Catalogne au sud à la mer du Nord et à la Baltique au nord, du bassin du Danube et de l’Elbe à l’est, à la frontière de la Bretagne et à l’océan Atlantique à l’ouest.
Diversité – Langues
Les territoires placés sous l’autorité de l’empereur sont loin de constituer un tout homogène, et le souverain s’en accommode d’autant mieux qu’il considère ceux-ci comme des biens appartenant à lui-même et à sa famille et qui pourraient être répartis entre ses héritiers. Charles, roi puis empereur depuis la Noël de l’an 800, a donc largement préservé les particularités politiques, juridiques et autres de chacune des composantes de son empire.
C’est ce que traduisent notamment les noms de personnes et les usages linguistiques. Quant aux noms, ils continuent à rappeler les origines diverses des uns et des autres : ceux qui sont de consonance wisigothique, lombarde, bavaroise, franque, burgonde n’ont pas chassé les noms dérivés du latin. Le latin est certes langue officielle, celle des actes, de la correspondance, de la diplomatie, celle aussi de la culture et de la religion. Mais, à la cour de Charlemagne, on utilise surtout le francique, qui est germanique. Les langues burgonde, frisonne, alémanique, lombarde, sous différentes formes dialectales, sans parler du basque ou du breton, sont bien vivantes. Le latin populaire, en terre gallo-romaine, a évolué en langues romanes qui se différencient de plus en plus les unes des autres. Le latin classique n’est plus compris par le peuple, ce qui engendre des disparités culturelles et sociales considérables entre ceux qui le parlent, l’écrivent et les autres. Ainsi la constitution d’un empire étendu sous une même souveraineté a laissé subsister de grandes dissemblances d’un territoire à un autre, d’un peuple à un autre.
LE POUVOIR
L’empereur
Au centre de tout le dispositif du pouvoir se situent l’empereur et sa cour, c’est-à-dire la Chancellerie avec ses clercs, ses notaires, qui rédigent les capitulaires, assurent la correspondance, le service des archives, etc., le camérier ou
Weitere Kostenlose Bücher