Le talisman Cathare
bien un ami vient les secourir, déclara-t-il à ses vassaux.
— Sire comte, des renforts viennent d’arriver dans Toulouse. Avec Bernard de Cazenac à leur tête, ce sont cinq cents chevaliers qui défendent la ville et que vous aurez à combattre.
— Amis, c’est une folie qu’ils ont faite, car, à mon entrée dans la place, les traîtres en sortiront ou seront châtiés. Aussi longtemps que je vivrai, les faidits vagabonds ne me feront jamais peur, ni à moi, ni à l’Église. Les bourgeois de Toulouse, les gens des faubourgs et le peuple tout entier connaîtront la saveur de la haine. »
Trois jours plus tard, un second camouflet frappa la joue du sire de Montfort. Raymond VII, tout auréolé desa victoire à Beaucaire, fit, en digne fils de son père, son entrée dans la ville rose.
« À mort, à mort, maudits Français ! La roue de la Fortune a tourné. Vive Dieu, il nous rend Raymondet, l’héritier de Toulouse, et le feu de nos coeurs brûle à nouveau tout droit », se déchaîna le poète.
Comme Raymond franchissait la porte fortifiée, sa bannière frappée de la croix occitane au poing, l’oriflamme au lion de Simon de Montfort, planté au sommet de la tour du Pont Neuf, se décrocha et vint s’engloutir dans le fleuve. Les Toulousains en délire y virent un signe du ciel : l’enfant pur allait clouer le lion en terre.
Exaspéré par l’arrivée de ses ennemis de toujours, de son rival sur lequel il n’avait pu poser la main, Montfort fit entreprendre une débauche de travaux et construire des machines de guerre en grand nombre. Les tours d’assaut, d’où tiraient les archers, les chattes qui abritaient les sapeurs, encerclaient les remparts et harcelaient nuit et jour les défenseurs. Les tirs des catapultes fendaient les pierres de taille, écornaient les créneaux ; parfois les boulets s’écrasaient sur les murs rugueux comme pommes pourries. La colère au coeur, Montfort fit sonner le clairon.
« Voici, seigneurs croisés, l’écharde empoisonnée qui enfièvre le corps du monde catholique. Le peuple de Toulouse est un tel ramassis de fauves enragés qu’il force à guerroyer toute la chrétienté. Nous allons en finir. »
Déployés dans les champs alentour, ses barons s’équipèrent bellement. Le soleil brillait sur les casques rutilants ; les cottes et les hauberts lançaient des reflets d’or. Les bannières de soie claquaient au vent d’Espagne.
Défiant l’orgueilleuse troupe, Bernard de Cazenac et le comte de Foix coururent sus à l’ennemi sur le pont de Muret, objet de leur convoitise.
« Montfort ! Hardi, Montfort !
— Vivat ! À nous, Toulouse ! »
Les cris de guerre fusaient parmi le fracas des armes. La charge fut d’une extrême brutalité ; les lances et les épées se brisèrent sur les écus ou dans les corps ; hommes et chevaux se mêlèrent sur le sol rouge de sang. Deux cents combattants perdirent la vie au premier choc. Les flèches effilées et les carreaux assassins tombaient comme pluie en novembre. Sous le choc de la mêlée, écus et hauberts fendus, armures cabossées, les gens de Montfort rompirent le combat, le dos rond sous les coups, couinant comme des chiens étrillés. Les gens de la cité bousculaient les croisés.
Deux regards de feu, de fauve, se croisèrent au-dessus des combats. Montfort et Cazenac s’aperçurent et progressèrent l’un vers l’autre dans la marée des corps, la haine chevillée à l’âme. À nouveau, ils semblaient deux géants dominant des nains, échangeant des coups violents de leur épée, qui faisaient voler des éclats de métal autour d’eux. Ils étaient seuls au plus fort de la mêlée, ignorant les autres combats, et personne n’osait les approcher.
« Tu vas mourir de ma main, maudit cathare.
— Blanche, tu vas être vengée ! »
Un mouvement de troupe les sépara, furieux. Pierre de Mensignac, un compagnon de Bernard, passa entre eux sur son cheval emballé, une lance brisée au travers du corps. Le sang rougissait l’herbe et les morts étaient plus nombreux que les vifs. Les écus, sous les coups, sonnaient haut ; hauberts et heaumes résonnaient, cris et ferraillements se mêlaient. Dans l’air saturé de souffrances montait, sinistre, un grand concert d’apocalypse. Les combattants trébuchaient sur les lances brisées, les boucliers sanglants. Des chevaux, affolés, divaguaient, selles vides ou traînant des cadavres, piétinaient les blessés, cherchant le
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