Le talisman Cathare
le jeune, fils de l’ancien comte de Toulouse, tout juste âgé de dix-neuf ans, assiégeait sa bonne ville de Beaucaire, sur le Rhône, à l’extrême sud-est du comté. Ses amis crurent leur comte animé par le Malin ou quelque esprit mauvais. Il tournait sur lui-même, hurlait, piétinait, fendait l’air et faisait des moulinets avec son épée. Puis il partit à bride abattue vers Toulouse, y rassembla une troupe plus grande encore et, crevant ses chevaux, gagna le Rhône.
Beaucaire, qui avait vu naître le jeune comte Raymond, avait accueilli avec enthousiasme son libérateur. Les habitants avaient chassé les Français de la ville en faisant pleuvoir sur leurs têtes une averse d’eau bouillante, de pierres et de tisons crépitants, puis ils avaient apporté, avec ardeur, toute leur aide pour assiéger le château où s’était retranché Lambert de Thyry. Montfort encercla et assiégea les assiégeants.
« Il nous faudrait des ailes d’épervier pour nous enfuir, conclut Lambert de Thyry. Nous sommes perdus. Nul ne peut plus sortir pour puiser l’eau du fleuve, ni dans l’herbe mouillée mener nos chevaux boire. »
Au bout de trois mois de combats épuisants, à cours de vivre, songeant même à dévorer les plus faibles d’entre eux, les croisés du château firent leur reddition. Quant à Montfort, il subit sa première défaite en tentant de prendre d’assaut la ville, où ses troupes furent taillées en pièces et victimes d’un véritable carnage. Tandis qu’il rassemblait ses forces pour tirer vengeance des Provençaux, Montfort apprit que ses sujets toulousains venaient de se révolter contre lui, exigeant le retour de leur seigneur naturel.
À marche forcée, Montfort regagna sa capitale, prit des otages, pendit quelques insurgés, rançonna les bourgeois et priva les consuls de leurs droits coutumiers.
« Dieu ! Nous voilà traités comme juifs en Égypte ! Montfort lève sur nous ses griffes de lion », déclara un sage capitoul, homme de loi et de belle éloquence.
Mais à peine un incendie s’éteignait-il qu’un autre s’allumait, plus loin encore, réclamant plus d’hommes et de chevaux, entraînant plus de pertes et de fatigue. Montfort poursuivit le comte de Foix jusqu’à Lourdes, où il échoua à prendre la forteresse, surpris par le froid de l’hiver, puis il regagna la Provence, traquant ses adversaires jusqu’au château de Crest, en vallée de Drôme. À peine eut-il le temps de gravir les marches du haut donjon qu’une terrible nouvelle vint l’assaillir. En ce jour du 13 septembre 1217, Raymond VI, légitime comte de Toulouse, venait de faire une entrée triomphale dans la ville.
« Avec des larmes, il est reçu en Joie, car la joie qui reparaît est grainée et fleurie. Et chacun dit à l’autre : maintenant nous avons Jésus-Christ avec nous, et l’étoiledu matin est l’astre qui pour nous resplendit. Car voici notre seigneur que nous croyions anéanti. Et ainsi Valeur et Paratge qui étaient ensevelis sont vivants, restaurés, assainis et guéris. Puisque le comte est entré dans Toulouse pour la relever, et pour les Français détruire, et pour Mérite élever. Partout les hommes ont retrouvé la parole et s’écrient : Toulouse ! Que Dieu la dirige et la garde, et lui donne Valeur, la secoure et la protège ! Et lui donne le pouvoir et la force de réparer ses pertes, de délivrer Paratge et de faire resplendir Joie ! »
Le chant du troubadour Guilhem, qui annonçait le rétablissement des valeurs occitanes et les traditions de l’ancien temps, tira des sanglots au vieux comte. Dans le coeur de chaque Toulousain l’émotion était à son comble.
18
Toulouse, 1218.
« Jamais je ne vis chevalier plus parfait pour sa droiture égale à sa puissance et pour la renommée dont il jouit, car il est doué de sagesse, de largesse et d’un coeur impérial ; il dirige Paratge et conduit Vaillance, afin de restaurer Droiture et supprimer Douleur ; il vient par amour secourir Toulouse et le comte. »
Guilhem, le troubadour provençal, célébra avec enthousiasme la vaillance de son ancien maître volant au secours de Raymond VI à la tête de cinq cents chevaliers. Il n’avait en effet pas manqué de « paratge », cette noblesse d’âme, synthèse des plus hautes valeurs de la civilisation occitane, pour rassembler sous sa bannière autant de guerriers périgourdins et quercynois.
Dès qu’il avait appris le retour du comte légitime,
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