Le talisman Cathare
sanglants nous ganteront les poings. »
Bernard de Cazenac approuva : « Ayez confiance en nous, sire. Laissez-les donc pousser leur engin jusque dans la lice. Ils croiront au succès, mais plus la chattes’approchera, avec son château surmontant son chariot, plus elle se trouvera sous le feu de nos catapultes. Et nous la brûlerons avec sa portée d’hommes. Préparons-lui un piège en renforçant nos défenses.
— Cela est bien parlé », conclut Estout de Lias, expert en l’art des fortifications.
Toute la ville se mobilisa pour cette action. Les capitouls ouvrirent leurs coffres et distribuèrent or et vivres. Le petit peuple s’agitait avec pelles et pics, coins et marteaux, et, en peu de temps, éleva une muraille là où il n’y avait rien. On tendit les trébuchets. Chevaliers et bourgeois, dames et damoiseaux, fillettes et garçons, pucelles du bel âge, tous mêlés, entassèrent cailloux et munitions, en chantant des ballades du temps jadis, du temps des troubadours, des belles heures de Toulouse. Ils travaillaient sereins, sous les flèches et les traits des Français. Malgré les blessures et les morts, ils avaient tant de coeur et si franche fierté que nul ne s’épouvantait.
Les femmes se proposèrent au service des engins de guerre, pour laisser tous les hommes disponibles pour l’assaut. Les pierriers étaient machines légères qui pouvaient être manoeuvrées par des bras féminins. Alix commandait l’un d’eux, avec quatre compagnes, sur le chemin de ronde, au plus près du champ d’honneur. Elle se concerta longuement avec Bernard.
« Ma dame, ma fidèle amie, sois prête à me soutenir. Aujourd’hui, si Dieu le veut, toi et moi, nous vengerons Blanche.
— Je ne suis pas femme à défaillir devant le danger, et tu connais ma vigueur.
— Tu vaux assurément plusieurs guerriers, ma mie. »
Il la serra longuement dans ses bras, retrouvant à l’instant celle qu’il avait tant aimée, la femme vigoureuse et passionnée qui l’avait séduit. Mais pour l’heure, c’était la guerre ; Bernard, beau et bon parleur, harangua l’armée occitane.
« Barons, habitants de Toulouse, voici vos adversaires ; ils ont tué vos fils, vos frères, vous ont infligé maints tourments, et m’ont arraché mon bien le plus précieux, ma fille Blanche. Massacrez-les sans pitié. Je connais le point faible des Français fanfarons : ils ont revêtu leurs corps de bonnes armures à mailles doubles, mais, en dessous, sur leurs jambes, ils n’ont que leurs chausses. Si vous frappez aux jarrets et leur assénez de nombreux coups, il restera un charnier quand la mêlée cessera. Fiers bûcherons des âmes, autour de vous s’entassera une moisson de morts. »
20
La bataille s’engagea ; l’ultime combat. Les gens de la cité, l’oeil vif, le geste alerte, postèrent leurs trébuchets, chargèrent les rocs dans les frondes et lâchèrent les cordages. Les boulets traversèrent l’air léger, dans un sifflement d’animal furieux, et s’écrasèrent sur la chatte, la frappant au flanc. Le bombardement faisait rage ; les piliers de l’engin craquaient, les voûtes s’effondraient. Les poutres fracassées tombèrent sur les soldats et les broyèrent en nombre. La foule toulousaine s’embrassait en criant : « Dame chatte a vécu ! Vivat ! Les souris dansent. »
Les Français se crurent envoûtés par quelque mauvais sort. « Nous avons trop poussé notre machine, s’écria Hugues de Lacy. Il faudrait l’éloigner mais je crains fort qu’il ne soit trop tard et qu’elle ne soit perdue. »
Derrière la porte prête à s’ouvrir, parmi les bruits de fer et les piétinements fiévreux, Bernard encourageait une dernière fois ses frères d’armes.
« Messeigneurs, francs barons, les pièces sont en place sur l’échiquier ; il faut jouer le jeu jusqu’à l’échec et mat. Nous allons attaquer cette maudite machine et bientôt, autour d’elle, le sol sera tout boueux de sang frais. Voici venu le temps de l’ultime assaut. Plutôt périr dans la pleine gloire que vivre esclave. En avant, compagnons, boutons le feu à cette chatte. Hardi ! Libérons le bonheur. »
Les cris surgirent de puissantes poitrines : « Hardi Toulouse, Dieu nous aime ! Haut les coeurs ! Feu aux âmes ! À mort ! Pas de quartier ! »
Tous se jetèrent dans la mêlée ; le fracas fut terrible et, dans un fouillis d’épieux, d’armures et de chevaux, les coups plurent comme la grêle de
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