Le talisman Cathare
avant même que Montfort n’ait commencé son siège, Bernard avait revêtu ses plus beaux habits, ceint sa grandeépée, enfourché son cheval noir et, quittant au galop sa retraite d’Aillac, s’en était allé frapper à l’huis de ses amis, de ses proches, voire de ses rivaux d’hier mais qui avaient, comme lui, la haine des Français. Comme lui, ils n’avaient plus rien à perdre, étant dépossédés, faidits, et il ne leur restait que la vie, le courage et l’honneur. Ils avaient tous répondu à son appel. Gaillard de Beynac, le premier d’entre eux, avait abandonné les plaisirs raffinés et le luxe de son château pour rallier Toulouse avec ses hommes bien entraînés. Puis avaient suivi Guiraud de Gourdon, Bernard Jourdain, seigneur de l’Isle et Aymeric de Castelnaud, le grand rival des Beynac, allié à lui pour cette juste cause. Sept mois durant, Bernard parcourut les chemins glacés du rude hiver périgourdin, puis du printemps pluvieux, mais ce fut une forêt de lances et d’oriflammes qui chevaucha derrière lui, pour entrer dans Toulouse sous les vivats de la population, au début du mois de juin 1218, surprenant les arrières des croisés et les culbutant. Les clameurs de la foule, les appels et cris de guerre, les sonneries des cors et des trompes leur firent escorte dans les rues de la cité. Le Périgourdin était bien accompagné, traînant dans sa suite Raymond de Vaux, expert dans l’art des machines de guerre, les Agenais Vézian, vicomte de Lomagne, et Hugues de Lamothe, les Quercynois Amalvin et Bertrand de Pestillac, et son voisin Amalvin de Fénelon. Jehan de Turenne lui-même s’était jeté aux pieds du cathare, implorant son pardon et demandant le droit de combattre à ses côtés. Son bras était faible, mais son armée nombreuse : Bernard serra son beau-frère contre sa vigoureuse poitrine, manquant de l’étouffer. Le chevalier de Cazenac se réjouissaitd’autant plus de cette réconciliation que, dans un fourgon fermé, Alix, son épouse, accompagnait la troupe.
« Je veux en être ; ce sera le dernier combat.
— Ce n’est pas la place d’une femme.
— Je vaux bien des hommes et je l’ai prouvé.
— Je te croyais ralliée à la non-violence des Parfaites ?
— Après ma vengeance, je quitterai ce monde.
— Soit ! Augustin t’accompagnera et veillera sur toi.
— C’est plutôt moi qui le protégerai, le pauvre », ajouta Alix avec un pâle sourire, à la vue du petit homme qu’elle dépassait d’une bonne tête.
Les Périgourdins, avec armes et bagages, chevauchèrent jusqu’à Rocamadour où confluaient les troupes agenaises et les Quercynois d’Arnaud de Montégut, fidèle parmi les fidèles de Raymond VI. À la vue d’une si grande armée, et si enthousiaste, le seigneur de Castelnaud songea que son talisman allait rester encore longtemps scellé. La victoire était au bout du chemin. Qui aurait cru qu’au seul appel du comte, une telle nuée d’hommes aurait coiffé le heaume, revêtu la casaque, fourbi les boucliers et cuirassé les chevaux ?
Neuf mois avant l’arrivée de Bernard de Cazenac dans la ville rose, Raymond VI avait fait son entrée, acclamé par une foule en liesse. Les Français et leurs acolytes qui n’avaient pu fuir la cité avaient été promptement occis. Le comte occitan mit aussitôt le siège devant le château Narbonnais où s’étaient retranchés les croisés. Quatre semaines plus tard, Montfort était au pied des murailles et commençait le Grand Siège, bâtissant une véritable ville :Toulouse Nouvelle, en prévision d’un long et douloureux affrontement. Un gigantesque assaut fut repoussé avec force pertes. Le faubourg Saint-Cyprien et le périlleux verger du champ Montaulieu furent le théâtre de combats sanglants. Les eaux rougies de la Garonne virent de véritables batailles navales au cours desquelles Montfort manqua se noyer. La possession des ponts sur le fleuve était l’objet de constantes escarmouches.
L’accueil réservé au Périgourdin fit un tel bruit qu’il jeta le trouble chez les croisés. Après en avoir entendu la rumeur, Simon de Montfort, qui combattait sous les murailles, passa l’eau pour rejoindre son campement et s’enquérir de l’objet d’un tel émoi.
« Seigneurs, vos pires ennemis sont en train de perdre le fleuve, la ville, le pont et leur vigueur. Sachez qu’à l’intérieur, j’ai entendu un vacarme si fort qu’ou bien ils veulent s’enfuir, ou
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