Le talisman de la Villette
souffrent pas trop. L’hiver, c’est autre chose, les démunis s’ingénient à dénicher des occasions, certains deviennent distributeurs de prospectus, ceux qui savent écrire espèrent se faire engager dans les grandes agences de publicité pour confectionner des bandes-adresses. Les tempêtes de neige sont de véritables aubaines, on embauche hommes et femmes. Si l’on ne trouve rien, c’est la dégringolade, on saute des repas, on vit de crédit chez le boulanger et le bougnat. En ultime recours, on va au mont-de-piété, jusqu’au jour où, désespéré, on ne peut plus payer son loyer. Alors on emmène sa famille mendier dans la rue :
« Bien que la plupart des quartiers pauvres aient conservé leurs insalubres habitations de jadis, les propriétaires n’ont pas laissé d’imposer à celles-ci une élévation de prix pareille à celle dont les quartiers et les maisons riches ont été l’objet. […] Nulle considération n’arrête les spéculateurs, et telle est leur passion du lucre qu’elle va jusqu’à s’abriter sous le manteau de la philanthropie. Il s’est fondé à Paris un certain nombre de Sociétés dites des habitations à bon marché, qui prétendent rendre service à la classe pauvre en lui offrant des maisons saines, pourvues, disent-elles, de tous les agréments de la vie 64 . »
En 1889, à l’Exposition universelle, un bâtiment avait été consacré aux logements ouvriers. Un an plus tard se créait la Société française d’habitation à bon marché (HBM). Or, d’après M. Jules Simon (18141896), membre de l’Institut, ce programme serait loin d’être rempli.
« La vérité, écrivait-il dans Le Figaro du 16 mars 1894, c’est qu’on ne trouve dans les maisons à bon marché que le nécessaire et qu’on le paie un prix très rémunérateur, puisque le rapport de ces immeubles s’élève à 3,5 % ou 4 %. » Et il disait des propriétaires : « Bienfaiteurs, si l’on veut, mais bienfaiteurs qui trouvent leur intérêt à l’être. »
Le financement des HBM sera facilité par la loi Siegfried votée le 30 novembre 1894. Cette loi accorde des déductions fiscales aux investisseurs et permet une participation des associations charitables.
Dans la première quinzaine de septembre, une affaire d’espionnage va diviser pour longtemps la France en deux camps ennemis.
Un officier juif de l’état-major de l’armée, Alfred Dreyfus, d’origine alsacienne, est accusé d’avoir livré à l’Allemagne des documents concernant la défense nationale. L’accusation repose sur une lettre missive déchirée en petits morceaux et mêlée à d’autres papiers également déchirés, trouvés à l’ambassade d’Allemagne, dans la corbeille à papier de l’attaché militaire allemand, le colonel von Schwartzkoppen, par une femme de ménage au service du contre-espionnage français. Cette lettre prendra le nom de « bordereau ». En voici la teneur :
Sans nouvelle m’indiquant que vous désirez me voir, je vous adresse cependant, monsieur, quelques renseignements intéressants :
1° Une note sur le frein hydraulique du 120 et la manière dont s’est conduite cette pièce ;
2° Une note sur les troupes de couverture (quelques modifications seront apportées par le nouveau plan) ;
3° Une note sur une modification aux formations de l’artillerie ;
4° Une note relative à Madagascar ;
5° Le projet du manuel de tir de l’artillerie de campagne (14 mars 1894).
Ce dernier document est extrêmement difficile à se procurer et je ne puis l’avoir à ma disposition que très peu de jours. Le ministère en a envoyé un nombre fixe dans les corps, et ces corps en sont responsables. Chaque officier détenteur doit remettre le sien après les manœuvres.
Si donc vous voulez prendre ce qui vous intéresse et le tenir à ma disposition après, je le prendrai. À moins que vous ne vouliez que je le fasse copier in extenso et ne vous en adresse la copie.
Je vais partir en manœuvre.
On cherche le coupable à l’état-major car il est certain que cette lettre émane d’un officier. Le colonel Fabre croit reconnaître dans l’écriture du bordereau une similitude avec celle du capitaine Dreyfus. Il avertit son supérieur le général Gonse, qui en informe le général de Boisdeffre. Celui-ci prévient le ministre de la Guerre, le général Mercier.
Le général Mercier consulte le commandant du Paty de Clam, qui a la réputation de posséder des
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