Le talisman de la Villette
l’église de la Madeleine.
Le 4 avril, un attentat au restaurant Foyot blesse grièvement deux consommateurs, dont le poète Laurent Tailhade qui perd un œil. Quand Auguste Vaillant avait lancé sa bombe, Tailhade s’était écrié : « Qu’importe la mort de quelques humanités vagues si par elle s’affirme l’individu ? Qu’importe, si le geste est beau ? »
Le 27 avril, au Palais de Justice de Paris, se tient le procès d’Émile Henry, « les mains rouges comme la robe du président », titre Le Matin , sous la plume de Gaston Leroux. Émile Henry est condamné à mort et exécuté le 21 mai. Le lendemain, dans La Justic e, Georges Clemenceau écrit un article, « La guillotine » :
« Nous traversons le Paris d’après minuit, avec ses groupes de filles blafardes sous le gaz, ses flâneurs attardés en quête d’aventure. Déjà nerveux, je cherche un air étrange dans les choses. Rien. Un ciel ardoisé, moutonnant, d’une transparence blême. Un vent sec et dur qui nous glace.
Nous voici place du Château-d’Eau devant la grande République au bonnet phrygien. Elle présente sa branche d’olivier apportant, dit-elle, la paix parmi les hommes. Et le couperet ? Pourquoi ne tient-elle pas le couperet de l’autre main ? Au fond de moi je lui crie : "Menteuse !" Maintenant, c’est Ledru-Rollin, théâtralement campé devant la mairie du Faubourg. D’un geste emphatique, il montre l’urne du suffrage populaire, disant : "Le salut est là." – Sans doute, ami, mais l’attente est longue pour une courte vie. Tu en as fait toi-même, pendant vingt ans, la cruelle expérience. »
Le 24 juin, le président Sadi Carnot est à Lyon qui accueille une Exposition universelle. On fête également l’anniversaire de Solferino. La ville pavoise. Le président se rend au Grand-Théâtre où un gala doit avoir lieu. La foule fait une haie d’honneur à son landau qui avance au pas des chevaux. Un homme s’approche de la voiture présidentielle et se perd dans la foule en criant : « Vive la révolution ! » Il est neuf heures quarante du soir, une large tache de sang s’étale sur l’habit noir du président. Le général Voisin installé à son côté comprend ce qui vient d’arriver. Le landau, au galop, rejoint la préfecture. Le coup de poignard porté au président a perforé le foie et la veine cave, les médecins sont consternés. Le Dr Poncet pratique une laparotomie. Sadi Carnot décède peu après minuit.
Arrêté après avoir tenté de fuir, son assassin s’écrie : – Maintenant on peut me couper la tête, ça ne me fera plus rien.
Il échappera de peu au lynchage. Il se nomme Santo Jeronimo Caserio, originaire de Lombardie, il a vingt et un ans. Émigré en France, il exerce le métier d’ouvrier boulanger.
« Je suis devenu anarchiste depuis le procès de Rome en 1891, quand on a fait paraître les malheureux accusés dans une cage, comme des fauves. Alors j’ai juré d’attaquer les grosses têtes. Je voulais tuer le président Carnot parce qu’il avait refusé la grâce de Vaillant. »
Le lendemain de la mort de Sadi Carnot, les Italiens sont pris à partie par la foule déchaînée, les magasins sont pillés. Des cortèges se forment aux cris de : « bas l’Italie ! Déclarons-lui la guerre ! »
La majorité des deux Chambres se met d’accord sur le nom de Jean Casimir-Perier pour succéder à Sadi Carnot. Il est élu le 27 juin président de la République par 457 voix sur 851 votants. Les socialistes et les radicaux manifestent leur opposition. Ils dénoncent dans le nouveau président, qui est le principal actionnaire des mines d’Anzin, une créature du capitalisme et de la réaction. Le groupe socialiste parlementaire s’adresse au pays :
« Un Parlement livré aux ralliés, au centre bourgeois, à la caducité sénatoriale, vient d’élire à la Présidence de la République Casimir-Perier, l’homme de la réaction orléaniste… aussi est-ce au cri de "À bas la réaction !" qu’en votre nom nous avons accueilli la proclamation de ce vote scandaleux. »
Le 28 juillet, le gouvernement profite de l’indignation provoquée par l’assassinat de Sadi Carnot pour obtenir du Parlement de nouvelles lois « tendant à réprimer les menées anarchistes ». En réalité, ces lois aggravent les restrictions déjà apportées l’année précédente à la liberté de la presse, elles punissent de prison la provocation au vol et au
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