Le talisman de la Villette
commerçantes, la municipalité parisienne octroie à un concessionnaire le monopole d’installation sur la voie publique de petits édicules absolument indispensables et dont, jusqu’ici, le sexe faible avait été privé. Ces messieurs n’auront plus le privilège de se soulager gratis.
Toutefois, la condition féminine reste égale à ce qu’elle était. Sous la loi actuelle, la femme est à tel point mineure dans le mariage qu’elle n’a même pas la libre disposition de son gain. On lui reconnaît le droit, l’aptitude au travail, mais on ne la reconnaît pas propriétaire de ce qu’elle a gagné. Son mari peut, en toute légalité, passer à la caisse et verser dans son propre gousset le produit du labeur de sa moitié.
Mais ce ne sont que broutilles en regard des faits dramatiques qui vont jalonner ces douze mois.
Le 10 janvier, en Afrique, au Soudan, Tombouctou est occupée par le colonel Joffre. La prise de la ville mystérieuse qu’avait visitée René Caillé en 1828 et l’Allemand Barth en 1853 suscite l’enthousiasme : « Les almanachs futurs perpétueront le souvenir d’un des plus grands événements géographiques du siècle », lit-on dans Le Magasin pittoresque . Et L’Illustration de renchérir : « La prise de Tombouctou assurera l’avenir du continent noir. Une troupe de braves Français, dont les noms resteront obscurs pour la plupart, a accompli ce haut fait d’armes qui donne à notre patrie un bien autre lustre que les discussions stériles des politiciens. »
Le 20 mars, l’ensemble des colonies françaises, qui dépendait du ministère de la Marine, est rattaché à un nouvel organisme, le ministère des Colonies. L’Algérie dépend du ministère de l’Intérieur.
Au cours du premier semestre 1894, les attentats anarchistes sèment l’effroi dans la société française. Les anarchistes sont des révolutionnaires dont l’idéologie se rattache plus ou moins à celles de Proudhon et de Bakounine, qui voulaient rendre les hommes égaux et libres par la suppression de la propriété privée, source de l’oppression, et du gouvernement, instrument de l’oppression. Ils se sont séparés des socialistes en 1879. Peu à peu émerge parmi ces idéalistes la doctrine de « la propagande par le fait ». Il ne s’agit pas de l’anarchisme véritable mais d’une méthode d’action violente. Les auteurs d’attentats sont une poignée, mais certains intellectuels et artistes ne désapprouvent pas cette forme de révolte contre la société.
Le 5 février, Auguste Vaillant, l’anarchiste qui avait lancé une bombe à clous en pleine séance du Palais-Bourbon (9 décembre 1893), est guillotiné.
Le 12 février, une bombe explose au café Terminus , blessant dix-sept personnes. L’auteur de cet attentat se nomme Émile Henry. Brillant élève, il a obtenu une bourse, est devenu bachelier et a été admissible à l’École polytechnique. Il a vingt-deux ans et revendique l’entière responsabilité de ses actes. Il déclare à son procès :
« On m’avait dit que les institutions sociales étaient basées sur la justice et l’égalité, et je ne constatai autour de moi que mensonges et fourberies. […]
Il faut que la bourgeoisie comprenne bien que ceux qui ont souffert sont enfin las de leurs souffrances. […] Ne sont-ce pas des victimes innocentes, ces enfants qui, dans les faubourgs, se meurent lentement d’anémie, parce que le pain est rare à la maison ; ces femmes qui dans vos ateliers pâlissent et s’épuisent pour gagner quarante sous par jour, heureuses encore quand la misère ne les force pas à se prostituer ; ces vieillards dont vous avez fait des machines à produire toute leur vie, et que vous jetez à la voirie et à l’hôpital quand leurs forces sont exténuées ? »
Le 19 février, une lettre signée Roberty, dans laquelle celui-ci fait part de son intention de se suicider, est envoyée au commissariat. La police se présente dans un hôtel meublé, 69, rue Saint-Jacques, et force la porte d’une chambre qui, en s’ouvrant, fait choir un explosif. Bilan : un mort, un blessé.
Le 20 février, un attentat identique se produit dans un hôtel du faubourg Saint-Martin, au numéro 47. Le laboratoire municipal désamorce la bombe sur place, sans dommage.
Le 15 mars, l’anarchiste belge Pauwels, auquel on attribue les attentats des deux hôtels précités, est tué par l’explosion d’une marmite qu’il a déposée dans
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