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Le talisman de la Villette

Le talisman de la Villette

Titel: Le talisman de la Villette Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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fouilla l’armoire, déploya un drap, en recouvrit la femme et amoncela par-dessus plusieurs courtepointes de droguet.
    Le feu déclinait. Il sacrifia une troisième chaise et se précipita à l’écurie où les dernières brandes et deux caisses furent emportées à la barbe de Flip. Il jeta sa provende au fond d’une brouette, fit un détour par l’appentis, ajouta deux bûches détrempées. Il épandit le tout face aux chenets et accota les bûches au contrecœur du foyer afin de les sécher.
    Son corps était sans force. Il serra sa cuisse au-dessus du genou, la douleur irradiait de son jarret. Il reprit son souffle, appuyé au bord de la table. Une réaction de lassitude due à la tension nerveuse était en train de s’emparer de lui, il grelottait. Il se changea, se coupa une tranche de pain et fit voler en éclats une caisse, aussitôt offerte en pâture aux flammes. Cette fois, la cheminée, repue, exhalait une chaleur intense. Il se versa une moque de cidre et s’installa au chevet de la femme.
    Elle était jeune, guère plus de vingt-cinq ans. Son teint hâlé attestait qu’elle avait vécu au soleil. Ses yeux, étaient-ils aussi noirs que ses boucles ? Et ses lèvres, quel était leur goût ? Il faillit céder à une impulsion et tester leur saveur. Il tint bon, mais au bout de quelques minutes, il dévoila sa nudité, et, quand il l’eut admirée tout son soûl, effleura ses épaules, le galbe d’un sein, son cou. Il rabattit les couvertures et se leva avec tant de brusquerie que le tabouret tomba.
    Devenait-il dément ? Il avait appris à se barder d’une gangue d’indifférence. Isolé en lui-même, il évitait les contacts intimes et calfeutrait ses émotions. Cette femme était la première à émousser sa sérénité depuis la disparition de Clélia. La seule explication qu’il pût donner à son attitude, c’est que l’effort l’avait affecté plus qu’il ne voulait l’admettre.
    Il emprunta l’échelle de meunier qui menait à sa mansarde, univers familier qu’il s’était créé lors de ses adieux à la navigation. Il huma avec délice l’odeur de tabac, de pomme et d’encre. Des malles bombées renfermaient les aquarelles et les carnets de croquis témoins de ses observations. Deux divinités empaillées régnaient sur le désordre des objets glanés lors de ses voyages : un cormoran huppé et un crave à bec rouge. Des feuillets épars narraient ses souvenirs de jeunesse, lorsque, matelot, il faisait du cabotage en Afrique du Nord et au Proche-Orient. Des cahiers à couverture de moleskine submergeaient un petit bureau agrémenté de deux sulfures et d’une lampe à pétrole. Un sextant et une longue-vue côtoyaient un herbier et des conserves de salicornes au vinaigre. Des livres encombraient un lit de sangle vis-à-vis duquel, patiemment reconstitué, le squelette d’une hulotte montait la garde. Aux parois de torchis étaient accrochés des dessins de Jean-François Millet achetés par l’oncle Gaspard, qui les lui avait légués, à l’époque où le peintre était revenu à Gruchy, son hameau natal proche de Landemer. Sa préférence allait à celui d’un berger conduisant son troupeau sous la lune. Il affectionnait également le planisphère en projection, copie d’un tracé de Mercator, qu’il avait coloré. Des dizaines de cartes marines s’entassaient dans un placard, quant à celle de la Hague, elle eût été inutile car, semblable au héros des Travailleurs de la mer, à qui le chat devait son nom, Corentin Jourdan était, selon Victor Hugo, « né avec une carte du fond de la Manche sous la voûte du crâne ».
    Il alluma sa pipe. Sans lui demander son avis, Clélia lui apparut. Que ne l’avait-elle épousé, cette cousine adorée ! Elle s’était laissé séduire par un montreur de marionnettes de passage à Cherbourg et l’avait suivi à Paris, où, abandonnée et pitoyable, elle avait succombé d’une fièvre puerpérale en faisant passer l’enfant qu’elle portait. C’était stipulé sur le papier officiel qu’il avait obtenu au terme d’une enquête interminable. On n’avait pas précisé où elle était enterrée.
    — Que m’importe ! grommela-t-il en allant se camper à la fenêtre.
    Les pommiers de l’enclos se tordaient, sous une forte bise d’ouest. À cinq encablures, un ciel d’ardoise se confondait avec la mer.
    Il réintégra le rez-de-chaussée. En proie à quelque cauchemar, la femme prononçait des paroles

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