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Le talisman de la Villette

Le talisman de la Villette

Titel: Le talisman de la Villette Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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d’son terrier. On va en rire jusqu’au Val de Saire !
    — Je vous fais confiance pour mettre une sourdine aux bouches les mieux fendues et pour veiller à ce que le maréchal-ferrant change le fer du sabot arrière gauche de Flip. Surtout, pensez à l’abreuver avant de lui donner son picotin d’avoine, et brossez-le chaque jour.
    La mère Guénéqué le toisa d’un air malicieux.
    — C’est pas à moi qu’il faut dire ça, capitaine, j’connais le proverbe : « La main engraisse autant mi’ la nourriture. » Paris, Paris, c’est-y donc une épidémie ? La donzelle qu’vous avez étrillée, elle aussi s’en va à Paris. Le docteur lui a pourtant seriné qu’dans son état c’est pas raisonnable, elle est plus têtue qu’la mule du curé ! Ça serait pas lié, vos deux voyages ? lâchai elle avec une moue suspicieuse.
    — Quelle idée ! J’ignore tout de cette femme, son identité, où elle loge… Une affaire, je vous le répète, relative aux placements de mon oncle.
    — Bon, bon. J’soignerai les bêtes, mais ça va m’obliger à m’trimbaler ici tous les matins…
    — Je vous laisse quarante francs. Si je ne suis pas revenu à la Chandeleur, vous percevrez un mandat.
    — Pas d’complications superflues. Quarante francs, c’est déjà un magot ! s’exclama-t-elle, la prunelle arrondie de convoitise.
    Elle subtilisa prestement les billets.
    Une caresse à Gilliatt, une tape amicale à Flip, et il tourna casaque. Il serrait dans sa main le cabochon bleu qu’il avait découvert sous la table. En dépit des nuages noirs et des coups de gueule du vent, la tourmente avait fui le Cotentin et s’était lancée à l’assaut de terres plus au sud.
    Pourquoi avait-il fouillé ce maudit sac ? Désormais il disposait de renseignements indésirables. S’il refusait d’appareiller, ils lui empoisonneraient l’existence. Il n’aurait de cesse qu’il n’ait rejoint celle à qui il avait dérobé ses secrets. Coûte que coûte, il la pisterait à travers cette immense cité qui charriait des périls autrement plus mortels que ceux de la tempête.

 
     
     
CHAPITRE II
    Vendredi 9 février 1894
     
     
     
    Bientôt cinq heures du soir. Le crépuscule grignotait Paris. Paris tentaculaire avec ses hautes constructions bourgeoises, ses avenues illuminées a giorno, ses quartiers interlopes, ses rues animées, ses rues ténébreuses, ses rues vides. Paris, océan de pierre, de luxe, de taudis, de bas-fonds, Paris des nantis, Paris des pauvres gens. Corentin Jourdan savait précisément ce qu’il avait à faire. Soit les deux femmes sortiraient ensemble, soit seule l’une d’elles franchirait le seuil du pavillon. Selon qu’il s’agisse de la brune ou de la blonde, il exécuterait la procédure prévue à cet effet.
    De sa mansarde il pouvait voir l’enfilade de la rue Albouy, mais ce qui l’intéressait c’était le pavillon à l’angle de la rue des Vinaigriers. Si la brune Sophie Clairsange se décidait, il aurait largement le temps d’aller jusqu’à la stalle de la jument. La station des fiacres se trouvait boulevard de Magenta, il faudrait cinq minutes à la jeune femme pour l’atteindre, il la rattraperait, il était rodé.
    Le hasard, la destinée, la chance l’avaient servi. Toutes les conjonctions étaient réunies afin qu’il puisse mener à bien son projet. Vivre en solitaire sans se montrer était la meilleure façon de s’informer discrètement.
    Il avait envisagé des filatures de fiacres ou d’omnibus et songé à se pourvoir d’un moyen de transport. Son budget lui interdisait de se procurer un attelage à la Compagnie des petites voitures, les vingt-cinq à quarante francs par jour auraient englouti son pécule. La bonne fortune lui avait souri en la personne d’un déménageur dont l’entreprise se situait près de son logis. En échange d’une somme modique, il lui avait loué de la main à la main une jument encore fringante ainsi qu’une charrette qui seraient vingt-quatre heures sur vingt-quatre à sa disposition.
    Quand il avait débarqué à la gare Saint-Lazare, il s’était rendu à l’adresse indiquée dans le cahier de la jeune femme sauvée de la noyade. Rue des Vinaigriers, la petite boutique peinte d’un bleu criard semblait lui faire signe. Sur l’enseigne se détachaient les mots :
    Au CHINOIS BLEU
    Veuve Guérin
    Confiserie fine
    Maison fondée en 1873
    Le cœur emballé, il avait posé son havresac. Dénicher un hôtel,

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