Le templier déchu
tira fierté.
Le regard intense, il répondit tout aussi posément :
— Je m’appelle Alexandre de Ashby. Je suis anglais de naissance et j’ai appartenu à l’ordre du Temple, en tant que membre du cercle intérieur. J’ai été arrêté en France, accusé d’hérésie et torturé. Ce sont des camarades Templiers qui m’ont libéré. Parmi eux se trouvait un certain Jean de Clifton, qui se trouve en ce moment aux mains des Anglais. Ces derniers l’ont utilisé pour me contraindre à participer à cette machination.
Elizabeth expira lentement. Elle vivait le plus épouvantable des cauchemars.
Sainte Mère de Dieu, cet homme était bel et bien un espion ! Ce qui signifiait que...
— Les deux hommes qui sont arrivés ici avec moi, messire Stephen de Cheltenham et messire Lucas de Dover, font partie de cette conspiration, confirma-t-il, comme s’il avait suivi le cheminement de ses pensées. Stephen a quitté l’enceinte du château ce matin sous prétexte d’aller à la chasse, mais en réalité, il est allé rejoindre Lucas qui se cache dans les bois à la tête d’un petit détachement de soldats. D’ordinaire, j’assiste à ces rendez-vous, mais aujourd’hui, j’ai été déchargé de cette corvée en raison du banquet de ce soir.
Il baissa les yeux et reprit :
— Lucas aussi est un ancien Templier. Il a servi autrefois à mes côtés, à Chypre. Nous avons depuis un sévère contentieux. C’est un homme dangereux. C’est sans doute lui qui lancera l’attaque contre le château, soutenu par l’armée anglaise. Vous devez en être avertie, madame.
Tandis que ces terribles nouvelles pénétraient le cerveau d’Elizabeth, une pensée la frappa soudain. Bouleversée, elle sentit ses jambes se dérober sous elle, et parvint à demeurer debout au prix d’un effort inouï.
— Alors Robert... le vrai Robert Kincaid... est mort, n’est-ce pas ? dit-elle dans un souffle de voix.
Alexandre attendit un instant avant de répondre :
— Je ne l’ai jamais vu, aussi, je ne puis vous l’affirmer, mais le comte anglais qui m’a capturé a invoqué sa mort pour expliquer le besoin qu’il avait de moi pour monter cette machination.
Elizabeth, qui avait reculé, sentit contre ses mollets l’assise dure de la chaise placée près de la table. Elle s’y laissa tomber de tout son poids, sans lâcher le tisonnier.
Ainsi, Robert était mort. Elle avait du chagrin, bien sûr, mais pas autant qu’elle s’y attendait. Et la tristesse qu’elle ressentait était moins douloureuse que la souffrance qu’elle éprouvait à l’idée que cet autre homme, qui se tenait devant elle en cet instant, s’était fait aimer d’elle et l’avait trompée.
Elle retint un rire amer. Il semblait que sa vie soit désormais régie par ce principe : l’acceptation aveugle des choses comme elles étaient, et non les regrets vains de ce qu’elles auraient dû être.
« Peut-être as-tu moins de chagrin que prévu parce que tu envisageais la mort de Robert depuis longtemps, et que tu la croyais inévitable après tant d’années sans nouvelles de sa part ? », suggéra une petite voix dans sa tête.
Oui, c’était assez logique. Mais elle ne pouvait y réfléchir maintenant tant son esprit engourdi était la proie de pensées chaotiques. Secouant la tête, elle fixa du regard l’homme qui l’avait trahie.
Robert – non, Alexandre, se rappela-t-elle – avait au moins la bonne grâce de paraître bourrelé de remords. Pour autant elle n’osait lâcher son tisonnier. Elle s’était montrée si crédule et lui si fourbe qu’elle n’avait plus confiance en son instinct.
— Pourquoi m’avouez-vous tout cela maintenant ? lança-t-elle. Et comment puis-je savoir qu’il ne s’agit pas d’une autre de vos perfidies ?
Elle ressentit un plaisir acerbe à le voir tressaillir sous l’attaque. Mais la douleur ne la quittait pas, elle semblait même aller empirant.
— Je vous ai dit la vérité parce que je ne supportais plus de vous tromper. Mes sentiments pour vous sont bien réels, Beth, ajouta-t-il, le regard rivé au sien. Je n’ai jamais menti à ce sujet.
Elle ne répondit pas. Dans sa poitrine, la douleur devenait intolérable.
— Et je tiens à vous révéler le reste, poursuivit-il, afin de vous protéger du danger qui vous menace si je le puis... et dans l’intérêt de mon ami Jean. Madame, je vous implore de faire emprisonner Stephen dès son retour au château ce soir. Il
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