Le templier déchu
distraction d’Alexandre.
Sur ordre d’Elizabeth, il avait été confiné dans leur chambre. Cela aurait dû être une aubaine, mais il y voyait au contraire une malédiction. En effet, la pièce entière était chargée de souvenirs qui le mettaient au supplice, bien plus que s’il avait été enfermé dans l’unique geôle du donjon.
On lui avait fait savoir qu’une sentinelle était postée de l’autre côté de la porte, dans le couloir, afin de garder un œil sur lui sans attirer ouvertement l’attention. Alexandre avait accepté cet arrangement. Il était d’accord avec Elizabeth qui avait décidé que son arrestation devait rester aussi secrète que possible. Le faire jeter dans la prison du château serait revenu à annoncer à leurs invités – dont le comte de Lennox – qu’il y avait un problème et que Dunleavy était de nouveau vulnérable.
Une excuse quelconque serait donc invoquée pour expliquer l’absence d’Alexandre au matin – un malaise subit, une migraine persistante après les libations de la veille, n’importe quoi pour éviter d’éveiller les soupçons. Ensuite, une fois le dernier invité parti, Elizabeth prendrait une décision le concernant.
Alexandre ne nourrissait guère d’espoirs à ce propos.
On ne lui avait rien dit depuis qu’Elizabeth, Aubert, le capitaine des gardes et ses hommes avaient quitté la chambre. Il ignorait comment Aubert avait appris qu’il était un imposteur, et ne savait pas non plus si Elizabeth avait fait ce qu’il lui avait demandé dans l’intérêt de Jean, à savoir mettre Stephen aux fers dès que celui-ci aurait réintégré l’enceinte de Dunleavy.
Pour ce qu’il en savait, ce dernier n’était peut-être même pas rentré ! Lucas pouvait tout aussi bien avoir décidé d’abandonner Alexandre à son triste sort s’il s’était déjà procuré les informations dont il avait besoin pour lancer son attaque. Dans ce cas, il était possible que Stephen ait rejoint définitivement les rangs de ses camarades anglais.
Cela n’aurait pas surpris Alexandre outre mesure. Du reste, plus rien ne pouvait vraiment le surprendre après ce qui s’était passé et ce qu’il avait découvert sur lui-même au cours des heures écoulées.
Car de tous les événements stupéfiants qui s’étaient déroulés cette nuit, il en était un plus sidérant que les autres : en avouant son amour à Elizabeth, il avait dit l’exacte vérité.
Au mépris de la prudence la plus élémentaire, et après une vie entière passée à se prémunir contre ce genre d’événements, il s’était autorisé à tomber amoureux de la belle, de l’ingénieuse, de la courageuse Elizabeth de Selkirk.
Cette réalité semait la pagaille dans son esprit au point qu’il ne se reconnaissait plus.
Et comme si cela ne suffisait pas, il avait découvert que, sans y être contraint par un chantage ou une pression quelconque, il était prêt à donner sa vie pour elle .
C’était stupéfiant. Cela signifiait que quelque part à l’intérieur de cette coquille d’égoïsme se cachait un homme qui n’était pas entièrement mauvais, un homme capable de grandeur et de loyauté. Il sentait le goût de la rédemption sur ses lèvres et il n’avait rien d’amer. Non, dire enfin la vérité à Elizabeth était un breuvage plus suave qu’il ne l’aurait imaginé.
Il espérait juste vivre assez longtemps pour réparer un peu du mal que ses mensonges lui avaient fait.
Une autre rafale de vent secoua le volet, apportant avec elle l’odeur fade de la pluie. D’ici peu, les oiseaux commenceraient à chanter pour saluer la naissance du jour. Ce serait peut-être le dernier lever de soleil auquel il assisterait, se rendit-il compte, car si tous les invités repartaient aujourd’hui, il y avait gros à parier que son cadavre pendrait bientôt le long du mur d’enceinte.
Mais mieux valait ne pas y penser pour l’instant. Au cours des dix dernières années, il avait peu ou prou pris l’habitude d’envisager l’imminence de sa propre mort, d’abord lorsqu’il était un jeune chevalier téméraire, puis plus tard, quand il était devenu membre du très élitiste cercle intérieur de l’ordre du Temple, et enfin plus récemment, après avoir été fait prisonnier des Anglais, non loin de Carlisle. Il savait que ruminer sur la mort n’y changeait rien, aussi, plutôt que de se morfondre, il se leva, étira ses muscles endoloris, puis se dirigea vers le fauteuil
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