Le templier déchu
par un fardeau dont il ne supportait plus le joug.
La couverture glissa des épaules d’Elizabeth comme elle le rejoignait. Lorsqu’elle posa la main sur l’épaule, il frémit, redressa la tête et lui fit enfin face, non sans s’écarter d’un pas. Son regard était d’une tristesse poignante.
— Non, madame. Rien ne va, murmura-t-il. Et je ne vois pas ce que je pourrais faire pour changer cela.
Elizabeth crut que le monde s’arrêtait de tourner. Tout à coup, elle ne pouvait plus bouger, ne pouvait plus respirer. Elle avait l’impression que la mort était tapie dans un coin, prête à fondre sur eux.
S’efforçant de masquer la peur panique qui était en train de monter en elle, elle parvint pourtant à demander calmement :
— Que se passe-t-il ? Je vous en prie, dites-le-moi.
— Je prie pour que Jean me pardonne, mais je ne peux plus jouer la comédie plus longtemps, chuchota-t-il, comme s’il ne cherchait à être entendu que de lui-même et de son Créateur.
Il inspira à fond, exhala lentement, et parut se tenir plus droit encore que d’ordinaire, son autorité naturelle revenue. Une expression déterminée crispa son beau visage, mais son regard demeura sombre.
— Je ne suis pas l’homme que vous croyez, Elizabeth. Je ne suis pas Robert Kincaid, quatrième comte de Marston. Je ne suis pas votre mari.
Incrédule, elle le dévisagea et secoua la tête, comme si ce mouvement avait le pouvoir d’effacer ces paroles qui lui faisaient tant de mal. Elle recula d’un pas, puis de deux. Sa main trouva le plateau de la petite table sur laquelle ils avaient l’habitude de jouer à la marelle et elle s’y appuya.
Doux Jésus...
Il déglutit avec peine, comme si parler lui demandait un effort surhumain.
— Je suis un usurpateur, enchaîna-t-il, et chaque syllabe se plantait dans le cœur d’Elizabeth telle une flèche empoisonnée. J’ai été envoyé à Dunleavy sur ordre d’un chef d’armée anglais afin de rassembler des informations sur la forteresse avant qu’il donne l’assaut... qui devrait se produire d’ici à une semaine ou deux, je ne sais pas au juste.
— Mon Dieu ! souffla Elizabeth, les yeux agrandis d’horreur.
La nausée lui soulevait l’estomac, menaçant de l’étouffer.
Les doutes terribles qui l’avaient assaillie, des détails qui l’avaient intriguée, des incongruités, des anecdotes lui revenaient à présent en mémoire, tissant une histoire tout autre que celle à laquelle elle avait voulu croire. Une histoire horrible, sordide.
Elle porta la main à sa bouche.
Elle avait l’impression d’avoir été happée dans un terrible cauchemar dont elle ne pouvait s’échapper.
— Je... Ce n’est pas possible... balbutia-t-elle.
— Je vous dis la vérité, madame. Pour une fois dans ma méprisable vie, ajouta-t-il avec amertume. Et pour sauver un homme, un ami loyal dont la vie est en jeu, je vous implore de m’écouter jusqu’au bout avant d’appeler vos gardes ou d’entreprendre toute autre action irréfléchie.
— Appeler les gardes... ? répéta-t-elle, déconcertée.
Elle allait être malade. Son esprit affolé n’arrivait pas à absorber le sens de ses paroles. Elle ne parvenait pas à accepter, encore moins à réfléchir, elle savait seulement qu’elle avait mal, horriblement mal.
— Mon Dieu ! souffla-t-elle encore.
Puis d’un seul coup, elle comprit. Elle regarda autour d’elle, cherchant quelque chose, n’importe quoi, susceptible de lui servir d’arme. Sa vision se brouilla – des larmes, devina-t-elle confusément. Ravalant un sanglot, elle fit quelques pas et referma la main sur le manche du tisonnier appuyé contre le mur.
Elle le brandit comme Alexandre faisait mine de s’approcher.
Il leva la main dans un geste implorant.
— Elizabeth, je vous en prie. Je jure que je ne vous ferai jamais de mal. Ô Seigneur, comment pourrais-je...
Sa voix se fêla. Le voir faire de si violents efforts pour se dominer aida Elizabeth à se ressaisir. Soudain, un calme glacial l’envahit. Baissant les yeux, elle remarqua que ses mains serraient si fort le tisonnier que ses articulations avaient blanchi.
— N’approchez pas, ordonna-t-elle d’une voix basse et étonnamment autoritaire étant donné les émotions qui tourbillonnaient en elle. Qui diable êtes-vous si vous n’êtes pas Robert Kincaid ? Si vous n’êtes pas mon mari, ajouta-t-elle en levant le menton.
Sa voix avait à peine chevroté, et elle en
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