Le templier déchu
elle ne lui devait pas tant, et si Dunleavy n’avait pas bénéficié de sa loyauté indéfectible durant tant d’années, elle ne se serait pas gênée pour le renvoyer sur-le-champ, sans la moindre hésitation.
— Toutefois, je ne vois aucune raison de le considérer comme un ennemi dans l’immédiat, capitaine, enchaîna-t-elle. Nous savons qu’il a été forcé par les Anglais de participer à cette supercherie ; supercherie qu’il a pris l’initiative de nous révéler alors que rien ne l’y obligeait. Ce faisant, il encourait de gros risques, précisa-t-elle en adressant un regard noir à Aubert. Il nous a également appris quels renseignements avaient été fournis au comte d’Exford concernant la défense de Dunleavy. Ce n’était pas dans un but égoïste, afin de servir ses intérêts personnels, mais bien au contraire pour nous aider à repousser l’assaut qui se prépare.
— Très bien, madame, opina le capitaine.
Aubert s’était muré dans un silence hostile.
— Quoi qu’il en soit, il est fort peu probable que messire Alexandre revienne un jour à Dunleavy, aussi vous n’avez pas à vous tracasser à ce propos, conclut Elizabeth d’un ton plus léger.
Elle espérait convaincre les deux hommes que le sujet ne la touchait pas outre mesure, alors que rien n’était plus faux, que son cœur saignait à chaque syllabe qu’elle articulait.
— Qu’est-ce qui vous fait penser cela, mon enfant ? voulut savoir le père Paul.
— Il se trouve que j’ai moi-même ordonné à messire Alexandre de ne plus jamais remettre les pieds à Dunleavy, répondit-elle avec franchise. Sa supercherie ayant été découverte, il n’a aucune raison de revenir.
Aubert émit un ricanement déplaisant.
— Vous le lui avez peut-être ordonné, mais de là à ce qu’il vous obéisse, il y a un monde, dame Elizabeth. Il me semble que vous devriez le savoir après tout ce qu’il vous a fait endurer.
— Aubert, j’ai parlé avec messire Alexandre avant son départ et j’ai réglé tout ce qui devait l’être, en toute sérénité. Si cela suffit à votre châtelaine, cela devrait également vous suffire aussi.
— Certes.
La réponse laconique d’Aubert frisait l’impudence. Sans un mot de plus, il s’inclina de nouveau, pivota sur ses talons et disparut dans le couloir.
Messire Garin lui emboîta le pas et Elizabeth se retrouva seule avec le père Paul. Celui-ci semblait mal à l’aise. Le regard soucieux, il secoua la tête, poussa un soupir et, rejoignant Elizabeth, prit ses mains glacées dans ses larges paumes ridées.
Plus que l’opposition qu’elle avait pu rencontrer jusqu’à présent, ce simple geste si plein de bonté eut raison d’elle. La carapace qu’elle avait érigée pour tenir à distance ses émotions et ses pensées les plus intimes se fissura. Pour la première fois de la matinée, elle sentit les larmes lui picoter les paupières.
— Mon enfant... murmura le père Paul, l’air plus désolé que jamais. Je n’ai pas voulu vous poser la question devant votre intendant et le capitaine des gardes, mais, à présent, il faut que je le fasse. Qu’en est-il de cette affection que, hier, vous disiez ressentir pour messire Alexandre – affection réciproque si j’ai bien compris ?
— Quel rapport, mon père ? Cela n’a rien à voir avec ce dont nous discutions.
— Mais si vous éprouvez l’un pour l’autre de tendres sentiments en dépit de la situation, croyez-vous plausible qu’il demeure loin de Dunleavy une fois qu’il aura tenté de sauver son ami, ce Templier captif des Anglais ?
— Eh bien, oui... enfin... je ne sais pas, balbutia-t-elle. Mais je prie pour qu’il ne revienne pas au château. Car qu’y a-t-il entre nous, au fond ? Nous ne sommes pas mariés. Dieu me vienne en aide, ce n’est pas mon mari...
Sa voix se brisa. Le père Paul lui tapota la main tandis qu’elle luttait pour se ressaisir. Cela ne lui prit que quelques instants. Elle était la châtelaine de Dunleavy, et elle avait trop l’habitude des responsabilités pour s’autoriser à montrer sa vulnérabilité.
Le prêtre semblait de plus en plus préoccupé. Elle lui adressa un regard interrogateur et il baissa les yeux, visiblement embarrassé.
— Je suis désolé d’aborder un sujet aussi délicat, mon enfant, murmura-t-il, mais je suis votre confesseur et, pour le salut de votre âme, je suis contraint de vous questionner davantage...
Elle attendit qu’il
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