Le temps des adieux
restait songeuse.
— Me donnerais-tu le nom de certains des parents ? demanda-t-elle.
— Tu n’as quand même pas l’intention d’aller les voir ? (Petro attendit un démenti qui ne vint pas et se tourna vers moi.) Tu ne vas quand même pas le lui permettre, Falco ?
Son attitude envers les femmes était aussi traditionnelle que la mienne était tolérante. Je vis une lueur inquiétante s’allumer dans les yeux d’Helena.
— Quel mal pourrait-il y avoir à rendre visite à des victimes respectables ? m’étonnai-je.
— Merci ! murmura ma compagne entre ses dents.
— Mais c’est tout à fait illégal, se plaignit Petronius.
Il était cependant visible qu’il était prêt à céder. Il savait tout comme moi que, dans ce cas précis, Helena Justina possédait un énorme avantage sur nous. Fille de sénateur, elle serait bien accueillie par les familles les plus snobinardes. Elle était probablement d’un statut social supérieur à la plupart d’entre elles. Nous pouvions suivre le cheminement de sa pensée, mais elle nous mit aimablement au courant de ses intentions.
— Je dirai que j’ai supplié qu’on me donne leurs noms parce que notre famille est désespérée de la disparition d’une petite fille. Si je m’adresse à eux en tant que personne privée, ils me feront certainement davantage de confidences qu’aux vigiles.
Petronius Longus ne se sentait pas de taille à résister.
— Tu vas jouer à la mère éplorée ? demanda-t-il.
— Ce sera un bon entraînement, Petro. J’aurai bientôt de bonnes raisons d’être éplorée.
Il comprit à demi-mot et me regarda. Je haussai les épaules.
— C’est la vérité. Je comptais te mettre au courant.
— Vraiment ? Alors qu’au contraire, tu m’as servi des mensonges pour m’assurer que ce n’était pas le cas.
Il fit mine de vouloir partir en toute hâte, mais il s’arrêta pour ramasser le bébé, princièrement installé sur un tas de vieux sacs. Père dévoué de trois enfants, il savait comment s’y prendre. Appuyé contre le chambranle de la porte, il lui gargouillait des choses à l’oreille. Le petit bonhomme paraissait trouver tout naturel que ce grand type costaud le prenne à témoin :
— Dis-moi, mon garçon, peux-tu m’expliquer ce que tu fiches avec ces deux excentriques ?
J’étais en train d’expliquer les circonstances dans lesquelles je l’avais découvert quand Martinus arriva Cour de la Fontaine. Du palier du premier étage, nous le vîmes avant qu’il ait pu nous repérer. Petro se précipita à l’intérieur pour passer inaperçu. Martinus s’adressa à Lenia d’un air excité. Comme ce n’était pas son habitude, mon ami changea d’avis et siffla pour attirer l’attention de son adjoint, déclenchant les aboiements de Nux.
Lenia nous cria des injures depuis sa laverie. Des têtes apparurent aux fenêtres. Des passants s’arrêtèrent. Les chalands tendaient l’oreille. C’était l’exemple parfait de la discrétion habituelle de la quatrième cohorte. En un clin d’œil, tout l’Aventin allait être mis au courant de ce qui se tramait. Toute chance de régler le problème grâce à un élément de surprise était à exclure avant même que nous ayons appris de quel problème il s’agissait.
Martinus vint vers nous, mais n’y tenant plus, il nous cria son message à plusieurs pas de distance. Un gang venait de cambrioler les joailliers de la Julia Sæpta en plein jour. L’importance du butin, la rapidité de l’attaque et l’efficacité des voleurs rappelaient les méthodes de la bande qui avait dévalisé l’Emporium. La septième cohorte était sur les lieux, Petronius était prié de les y rejoindre.
Petro avait dévalé l’escalier avant de réaliser qu’il tenait toujours le bébé. Il grimpa les marches quatre à quatre avec ses longues jambes d’échassier, me colla l’enfant dans les bras et repartit au triple galop. Je refilai à mon tour le bébé à Helena, pris le temps de dire à Nux de bien veiller sur eux et me précipitai sur les talons des deux hommes.
Je n’étais pas au mieux de ma forme, mais je n’aurais voulu manquer ça pour rien au monde.
40
Il y avait nettement moins d’affolement et d’énervement à la Sæpta Julia qu’il n’y en avait eu à l’Emporium dans les mêmes circonstances. Les joailliers sont plus discrets que les autres commerçants. Même après avoir été dévalisés, ils hésitaient à donner des
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