Le temps des adieux
détails sur leur stock respectif. Aucun d’entre eux n’avait envie d’éclairer un collègue sur ses possessions. Ils se contentaient de faire grise mine.
Petronius prit un malin plaisir à leur annoncer que l’empereur Vespasien avait décidé de dédommager les commerçants de l’Emporium pour leurs marchandises disparues, mais que c’était une mesure tout à fait exceptionnelle. Eux, ayant été prévenus des risques encourus, devraient assumer leurs pertes.
Cette annonce eut autant de succès qu’une grève des gladiateurs à un festival prévu pour durer cinq jours. Sans se décourager, Martinus se mit à parcourir leurs rangs pour dresser une autre de ses listes.
Peut-être Vespasien se laisserait-il fléchir une fois encore ? Il ne fallait cependant pas trop y compter. Il était bien plus probable qu’il se contenterait de réprimander sévèrement le préfet des vigiles pour n’avoir pas su empêcher ce cambriolage prévisible. Le préfet, lui, s’en prendrait au tribun de la septième cohorte, responsable du secteur de la Sæpta Julia, et aussi à Marcus Rubella, tribun de la Quatrième, spécialement chargé de coordonner les efforts pour capturer cette bande redoutable. Rubella s’empresserait de tomber sur le dos de Petronius, à la façon d’une cargaison de briques en chute libre depuis un sixième étage.
Je tentai d’évaluer l’importance du vol. Il était phénoménal. Je n’avais pas besoin d’en savoir davantage. Ce qui allait se passer maintenant était pure routine : noter des détails fastidieux fournis par des témoins peu coopératifs. Pour un résultat fort douteux. Ayant repéré mon père, je parvins à le convaincre de regagner son bureau avec moi :
— Impossible de les aider. Alors autant ne pas les gêner.
Cette fois, mon père n’avait rien perdu. Les voleurs avaient uniquement jeté leur dévolu sur les bijoux et les métaux précieux.
— Est-ce qu’on t’a transmis mon message ? demandai-je après un moment de silence.
— J’ai rien compris à ce que mon intendant bafouillait, prétendit-il.
L’intendant de mon père était tout à fait compétent, mais je déclarai calmement :
— On a retrouvé un des pichets de verre syriens.
— Ah ? dit-il, se forçant à manifester un intérêt que visiblement il n’éprouvait nullement.
Je savais pourquoi : il souhaitait recevoir la compensation promise par l’empereur. Il préférait de l’argent liquide dans la main, plutôt que de se donner la peine de vendre les trésors que nous avions eu tellement de mal à rapporter jusqu’à Rome. J’avais du mal à contrôler ma fureur.
— Tu me portes vraiment sur les nerfs, P’pa ! Mais parlons d’autre chose. J’ai besoin d’un cadeau pour Helena.
— C’est vraiment magnifique, ce que tu lui as acheté.
— Tu veux dire que tu l’as trouvé ? demandai-je sans y croire.
— Je t’ai dit que j’avais examiné la marchandise le premier soir.
— Et tu n’as pas eu idée de prendre au moins ça pour le mettre en sûreté ?
— Comment voulais-tu que je devine que c’était un présent d’anniversaire pour Helena Justina ?
— Par Junon ! C’était enveloppé dans une de mes vieilles tuniques, tu aurais dû deviner.
— Ç’aurait pu être pour une de tes maîtresses.
— Oh ! je t’en prie. Tu sais très bien que je n’ai pas de maîtresses. Autre qu’Helena.
— Tu t’es acheté une conduite ?
— Ne me juge pas d’après toi !
Je lui en voulais tellement que je me sentais incapable de rester avec lui. Il me fallait pourtant absolument un cadeau pour le lendemain. Après un juron bien senti – c’est en général de cette façon que se terminaient nos rencontres –, je refusai tout net son offre de boire quelque chose et sortis en trombe pour regagner la maison.
Lorsque j’arrivai Cour de la Fontaine, la nuit était déjà tombée. Je ravalai ma colère car c’était le moment de se montrer vigilant. Un poulet affolé me passa entre les jambes en me causant une vive frayeur. Sous le porche de la boulangerie, du marchand de vanneries et de deux ou trois autres boutiques étaient installées les lampes faiblardes habituelles. Leurs lueurs vacillantes faisaient penser à des vers luisants très fatigués. Seules les pompes funèbres étaient brillamment éclairées. Offrir un accueil joyeux était leur façon de réconforter les gens en deuil.
Je remarquai deux silhouettes rapprochées dans
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