Le temps des adieux
ressemblait à une vieille croûte de fromage. Du genre dont les moineaux détournent le bec quand vous la trouvez derrière un meuble et la jetez dehors. En résumé, il paraissait tout à fait insignifiant. J’essayai néanmoins de me persuader qu’il était hautement qualifié. Sans y parvenir.
— Tu permets que je jette un coup d’œil ?
Il condescendit à me le permettre, mais il semblait aussi enthousiaste que si je lui avais annoncé que je représentais les édiles chargés d’attribuer les licences.
— Tu cherches quelque chose en particulier ? se força-t-il à me demander.
Il avait tout à fait l’attitude de quelqu’un qui croit qu’on vient inspecter chez lui et qui ne se sent pas vraiment la conscience tranquille, parce qu’il n’a pas versé les pots-de-vin qui conviennent pour qu’on lui fiche la paix.
— Je cherche une idée de cadeau, mais je ne suis pas fixé.
J’avais envie de fouiner. Il avait envie de me voir partir. Et du fait qu’il restait planté là à m’observer, tout ce qui avait attiré mon regard lorsque j’étais entré me paraissait désormais sans le moindre intérêt. Dès que je soulevais un objet, tous ses défauts me sautaient aux yeux. Et il fallait se rendre à l’évidence, il n’était pas un bon vendeur. Même s’il s’était fourré dans la tête que je n’étais entré que dans le but de dérober quelque chose, il aurait pu surveiller mes agissements avec plus de discrétion.
— Est-ce que tu as des bijoux de bonne qualité ? demandai-je enfin.
— Je n’en ai pas beaucoup en stock pour l’instant.
Ce qu’il voulait dire, très certainement, c’est que s’il lui arrivait de mettre la main sur un beau bijou, il le revendait tout de suite à un bijoutier professionnel qui pouvait le mettre en vitrine et en retirer beaucoup plus d’argent.
— Mon associé s’est spécialisé dans les métaux précieux, ajouta-t-il, et on a un excellent artisan qui peut te fabriquer tout ce que tu veux sur commande.
— Des bijoux en or ?
— Si c’est ce que tu souhaites.
— Tu pourrais en garantir la pureté ?
— Tout ce que nous produisons est délivré avec un certificat de garantie, précisa-t-il.
Je n’étais pas vraiment rassuré. Rien n’est plus facile que de fabriquer de faux certificats. Et rien ne me garantissait que son artisan était doué.
— Quel est ton nom ? demandai-je malgré tout.
— Castus.
— Alors, Castus, nous allons peut-être conclure une affaire ensemble.
Je détestais cordialement les bijoutiers professionnels qui gonflent les prix et vous regardent de haut. Mais pour Helena Justina, il fallait un cadeau vraiment spécial. Mal à l’aise, je promis de revenir un autre jour, quand je me serais décidé. Puis je quittai la boutique. Le pauvre Castus avait certainement deviné que je lui avais fait perdre son temps.
De retour dans l’appartement, je découvris qu’Helena était déjà couchée. Les femmes enceintes ont besoin de beaucoup de repos. Après que je me fus permis cette remarque, Helena rétorqua que ce n’était pas pour cette raison qu’elle s’était mise au lit, mais parce que j’étais un individu errant sur lequel on ne pouvait pas compter et qui ne valait pas la peine qu’on l’attende.
Je m’assis au bord du lit après avoir pris le bébé dans mes bras, car il s’était réveillé lorsque j’étais entré. Il me regardait en arborant son expression habituelle, calme et confiante. Je me sentais coupable à chaque fois que je le voyais, car je n’avais pas encore eu le temps de m’occuper de son sort. Et j’aurais dû me soucier davantage de ma nièce Tertulla.
Je tentai d’établir un parallèle entre les enfants qu’on enlevait et ceux qu’on abandonnait, ce qui ne me mena nulle part, sauf à conclure qu’il soufflait un vent de folie sur l’Aventin.
Renonçant à y comprendre quelque chose, je repoussai Nux au pied du lit. En voyant mon air sévère, elle n’osa pas s’en prendre à moi, préférant lécher le pied du bébé.
— Ça, c’est un bon signe, fit Helena.
— Oui, elle aime les enfants.
Et nous éclatâmes tous les deux de rire.
Puis Helena reprit son sérieux pour me dire que les beaux-frères n’avaient pas recueilli le moindre renseignement sur la disparition de Tertulla, ce qui ne me surprenait pas vraiment. La dernière trace qu’on ait d’elle, c’était donc quand Marius l’avait laissée à deux rues de la
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