Le temps des adieux
n’était pas question de l’emporter au poste où son frère tentait de se remettre du choc subi. Petro avait également demandé à ce qu’on nettoie l’endroit du meurtre du sol au plafond, et Fusculus s’était porté volontaire pour superviser cette tâche. Après l’avoir remercié, Petronius avait autorisé les autres à rentrer chez eux.
J’accompagnai ensuite mon ami jusqu’à sa maison. Il ne parla pour ainsi dire pas tout le long du trajet. Je le quittai devant sa porte au moment où sa femme lui ouvrit. En voyant son visage, elle releva le menton, mais ne fit aucun commentaire. Elle s’était contentée de m’adresser un léger signe de tête. Apparemment, on n’avait pas besoin de moi : Silvia allait se charger de Petro. À l’instant où la porte se referma, me laissant seul dans la rue, je me sentis momentanément perdu.
La journée avait été particulièrement pénible. Nous avions regardé en face le vrai visage de la cité de marbre de César. Aucun programme de construction de beaux immeubles ne parviendrait jamais à éradiquer les forces du mal qui animent la plus grande partie du genre humain. Et Rome était faite d’avidité, de corruption et de violence.
Quand j’arrivai Cour de la Fontaine, la nuit tombait. Je me sentais le cœur lourd. Et pourtant, j’étais loin d’en avoir terminé. J’allais devoir maintenant me draper dans une toge et plaquer un sourire sur mon visage pour aller dîner dans la famille d’Helena.
43
Nous passâmes devant le portier qui m’avait toujours considéré avec autant de respect qu’une espèce de vendeur de lupins ambulant qui rêvait de s’emparer de l’argenterie. Cette soirée d’anniversaire, organisée chez son père le consul, risquait de servir de prétexte à quelques joyeuses années de récriminations familiales. Et pour une fois, ce n’était pas ma famille qui était en cause.
N’étant qu’un simple citoyen, je ne pouvais que témoigner des meilleures manières qu’on m’avait inculquées. À peine eus-je le temps d’aider Helena à descendre de la chaise à porteurs que j’avais louée à contrecœur, que sa mère se matérialisa à mon côté, prête à me bousculer pour présenter ses meilleurs vœux à sa fille. Par un mouvement savant, je parvins à poser mes lèvres sur la joue de la dame – soigneusement huilée et parfumée –, la laissant encore plus surprise que moi.
— Julia Justa, je te salue et te présente mes plus vifs remerciements. Il y a vingt-cinq ans aujourd’hui, tu as mis au monde un inestimable trésor !
Je n’étais très certainement pas le gendre idéal à ses yeux, mais je sus néanmoins lui placer entre les mains un ravissant coffret de balsamine qu’elle parut accepter avec plaisir.
— Merci, Marcus Didius. Quel joli petit discours. (La mère d’Helena Justina était un modèle d’hypocrisie élégante. Je vis soudain son visage se figer.) D’où sort cet enfant que porte ma fille ? s’écria-t-elle, outrée.
— Oh ! lui ? répondit négligemment Helena. Marcus l’a découvert dans un tas de détritus. Mais je porte un autre enfant dont tu aimerais peut-être entendre parler !
J’avais prévu que cette annonce – si annonce il y avait – surviendrait avec davantage de tact et de diplomatie. Mais je me retrouvais placé devant le fait accompli.
J’avais parié avec la quatrième cohorte que la soirée se terminerait avec les femmes en pleurs et les hommes ayant perdu quelques dents. À moins que ce ne fût le contraire !
Avant même de franchir le seuil, les deux femmes se mesuraient déjà du regard.
Julia Justa portait une tunique de soie vert feuille et une étole finement brodée. Helena Justina était enveloppée dans un fabuleux tissu acheté à Palmyre et tissé dans des tons de violet, de marron, de rouge foncé et de blanc. Sa mère faisait étalage d’une magnifique parure d’or et d’émeraudes ; ma compagne avait un bras entièrement recouvert de bracelets et avait choisi d’énormes perles indiennes d’un orient incomparable. Julia Justina sentait un parfum à base de cannelle, le même que celui qu’Helena portait souvent, mais ce soir elle avait préféré une liqueur précieuse contenant de l’encens. Et elle avait l’air gracieux de la fille qui sait qu’elle a marqué le point.
Nous les hommes, nous étions tous en blanc. Et nous ne tardâmes pas à nous débarrasser de nos toges d’un commun accord. Le père
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