Le temps des adieux
d’Helena affichait son expression habituelle de douceur teintée de circonspection. Son frère Ælianus arborait un air renfrogné et une ceinture espagnole. Justinus n’était pas encore arrivé, et nous l’imaginions tous en train de rôder autour du théâtre de Pompée.
— Il ne va pas tarder, nous assura sa mère, confiante.
Si l’actrice en question était exceptionnelle et si c’était ce soir qu’elle allait le remarquer, je doutais qu’il réapparaisse rapidement.
Les femmes s’éloignèrent pour discuter d’une nouvelle récente, et le sénateur nous entraîna dans un salon, son fils et moi, pour nous offrir une coupe de vin avant le dîner – le genre de bibine sucrée au miel qui vous rend malade sans vous soûler. Rusé et intelligent, Camillus Verus donnait pourtant l’impression de manquer de confiance en soi. Il se contentait généralement d’accomplir le strict nécessaire sans se soucier du reste. Cet homme me plaisait beaucoup. Et j’appréciais à sa juste valeur le simple fait qu’il me tolère. Lui, au moins, croyait en la profondeur des sentiments que j’éprouvais pour sa fille.
De mon point de vue, la famille Camillus était patricienne, même si on ne comptait aucun consul ni aucun général parmi leurs ancêtres. Ils étaient de riches propriétaires terriens, mais j’étais certain que mon père possédait davantage d’argent liquide qu’eux. Si leur maison était vaste et possédait l’eau courante, le décor aurait mérité d’être rafraîchi depuis fort longtemps. Décor traditionnel. Ils ne possédaient aucune œuvre d’art de très grande valeur. Ce soir-là, les fontaines gargouillaient joyeusement, mais elles ne furent pas suffisantes pour alléger l’atmosphère quand Camillus Verus me présenta à son fils aîné.
Ælianus avait deux ans de moins que sa sœur Helena et deux ans de plus que son frère Justinus. Il ressemblait beaucoup à son père, cheveux raides et épaules légèrement voûtées y compris. Plus trapu que son frère, avec des traits plus épais, il était beaucoup moins beau. Ses manières me paraissaient une caricature de l’attitude patricienne. Heureusement pour moi, je ne m’étais jamais attendu à ce qu’un fils de sénateur me trouve acceptable comme compagnon de sa sœur.
— Alors, c’est donc toi, l’homme qui a favorisé la carrière de mon frère ! s’exclama Ælius comme s’il avait du mal à en croire ses yeux.
De presque dix ans son aîné, et bien plus riche que lui en véritables qualités humaines, je refusai d’en prendre ombrage.
— Quintus est intelligent et d’un abord chaleureux. Il sait se faire aimer. En outre, il s’intéresse à tout. Ce ne sont malheureusement pas là des qualités qui permettent de réussir dans la vie publique. Ce n’est pas ton cas, j’en suis persuadé.
Bien joué, Falco. Une insulte, mais gentiment enrobée.
En réalité, j’étais certain qu’un brillant avenir s’ouvrait devant le jeune Justinus, car il était pétri de dons. Je ne cherchais cependant pas à semer la zizanie entre les deux frères. Mes talents dans ce domaine n’étaient pas nécessaires. Généralement, les membres d’une fratrie n’ont pas besoin d’aide extérieure pour trouver des motifs de jalousie.
— Est-ce également toi qui as su éveiller son goût pour le théâtre ? persifla Ælius.
Le sénateur ne me laissa pas le temps de répondre.
— Il choisit lui-même ses distractions, tout comme toi ! déclara Camillus avec une certaine emphase.
Je me demandai immédiatement ce que cachait cette pique lancée par son père. Quelles pouvaient bien être les distractions favorites du cher Ælius ? Si je tenais à posséder une arme contre lui, j’avais intérêt à le découvrir.
— Alors espérons que ce passe-temps de mon frère ne va pas durer. Ni celui de ma sœur, d’ailleurs !
Le service militaire d’Ælius s’était accompli sans action d’éclat. Il avait ensuite passé une année comme aide de camp bénévole du gouverneur d’une province romaine, sans y acquérir aucun lustre – aucune occasion ne s’étant présentée.
— Tu n’as aucune raison d’être jaloux, assurai-je pour ne pas envenimer les choses. Ton frère, lui, s’est simplement trouvé dans la bonne province au bon moment.
— Et, naturellement, il te connaissait ! ajouta-t-il d’un ton méprisant.
Ælianus était assez naïf pour croire que j’allais prendre la mouche.
Une
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