Le temps des adieux

sourit en esquissant un geste résigné de la main. Il acceptait d’avoir été informé par un autre de son futur état de grand-père.
    — Il est exact que Titus s’est montré un peu trop empressé à m’apprendre la nouvelle.
    — Je suis désolé, sénateur, mais ce sont des choses qui arrivent.
    — Est-ce que tu en es heureux ? demanda-t-il.
    Mon large sourire lui répondit clairement. Puis nous cessâmes tous les deux de paraître aussi ravis en envisageant les risques qu’allait courir Helena.
    — Je reste persuadé qu’il existe une solution en ce qui te concerne, Marcus.
    Comme tout bon Romain qui se respectait, Vespasien était entouré d’une clique d’amis qui lui dispensaient leurs conseils. Le sénateur Camillus était l’un d’eux. C’était un atout en ma faveur… si j’acceptais de l’utiliser.
    — Veux-tu que j’en touche un mot au vieil homme ?
    — J’aime autant pas, dis-je en atténuant mon refus d’un sourire. (Intervenir en ma faveur était aimable de sa part, mais je mettais un point d’honneur à régler ce problème seul.) La nouvelle mission qu’il m’a confiée est particulièrement délicate. Je préfère en attendre les résultats avant de demander une faveur impériale !
    — Alors en attendant, tu pourrais peut-être ficher la paix à ma sœur, intervint Ælius qui avait de la suite dans les idées.
    — Je prends note de ton avis, dis-je d’une façon plaisante. (Mais j’étais trop furieux pour supporter longtemps ses attaques verbales.) Et ta détresse apparente me désole vraiment, continuai-je. Je conçois combien il a dû être pénible pour toi de découvrir, en rentrant de l’étranger, que la respectable famille que tu avais laissée derrière toi était devenue la proie du scandale. (Il fit mine de vouloir parler, mais je ne lui en laissai pas le loisir.) Et le scandale auquel je fais allusion n’a rien à voir avec ta sœur. C’est une référence à la triste histoire qui m’a fait connaître les Camilli, quand plusieurs membres de ta noble famille – maintenant opportunément morts – se sont lancés dans des complots d’une rare ineptie ! Alors, Camillus Ælianus, avant de t’embarquer dans la vie publique, je suggère que tu demandes à ton père de te révéler tout ce que l’empereur a permis qu’on garde secret.
    La mâchoire inférieure du noble rejeton restait pendante. Il était loin de penser que je n’ignorais rien de la disgrâce qui avait failli frapper sa famille.
    — Je te prie de m’excuser, dis-je en m’adressant à son père, car il n’était pas dans mes habitudes d’évoquer ce scandale.
    — Et c’est toi qui as réussi à étouffer l’affaire ?
    Ælius devait croire qu’on m’avait offert Helena Justina en récompense.
    — Mon travail personnel consiste au contraire à exposer les événements tels qu’ils sont. Mais je suis heureux de l’occasion que tu m’as donnée de mettre les choses au point.
    Puis, dans une tentative d’améliorer l’ambiance, je levai ma coupe. Tentative avortée. Les yeux d’Ælius continuèrent de lancer des éclairs.
    — Qu’est-ce que tu fais exactement, Falco ?
    Voilà une question que je me posais moi-même parfois, sans être capable d’y répondre.
    — C’est aimable à toi de m’interroger avant de me condamner. À la vérité, je fais ce qui est nécessaire, c’est-à-dire presque toujours ce dont les autres n’ont pas envie ou ne sont pas capables de se charger.
    — Il t’arrive de tuer des gens ?
    Ce garçon manquait définitivement de finesse.
    — Pas d’une façon régulière. Je perds trop de temps à me mettre en règle avec les dieux ensuite.
    Je me gardai bien de regarder en direction du sénateur qui se tenait parfaitement silencieux. La dernière fois que j’avais tué un homme, il s’agissait d’un malandrin qui avait attaqué Helena sur le seuil de la maison de son père 5 . Camillus m’avait vu agir. Mais il y avait d’autres morts en rapport avec celle-ci, dont le sénateur et moi ne parlions jamais.
    — C’est vraiment une noble attitude, persifla Ælius, de vouloir redresser les torts de la société, sans en attendre argent ni reconnaissance d’aucune sorte.
    — Pure idiotie, commentai-je brièvement.
    — Alors pourquoi continuer ?
    — Je garde toujours l’espoir que ça finisse par me rapporter quelque chose.
    — Et ça te permet sans doute de séduire des tas de femmes ?
    — Ma relation avec