Le temps des adieux
pour les Saturnales.
Il accueillit mon commentaire avec un haussement d’épaules insouciant.
— Quelqu’un doit s’assurer que Balbinus ne quitte pas discrètement le bateau à Tarentum.
— Sans parler d’Antium, de Paestum, de Rhegium, de la Sicile, de toutes les escales dans les ports grecs et en Asie…
Autant de lieux qui se montraient d’une loyauté ambiguë envers Rome. Certains étaient sous le contrôle d’officiers romains venus là uniquement pour se reposer et qui se trouvaient bien trop loin du pouvoir pour être contrôlés par ceux qui aimaient jouer au petit chef. Petronius Longus, qui tenait à voir la sentence appliquée, s’inquiétait à juste titre. Quant à Linus, tout à sa joie d’avoir l’occasion de voir du pays, il acceptait ses responsabilités avec le plus grand flegme.
— Je suppose qu’on va te payer tes dépenses, Linus ?
— Dans la limite du raisonnable, intervint Petro sombrement.
— Et puis, au moins, pendant ce temps-là, j’aurai la paix ! s’exclama le faux marin.
Il faisait sans nul doute allusion à une femme qui lui cassait les pieds. Mais choisir d’aller passer quatre ou cinq mois au-delà de l’Hellespont à la pire époque de l’année, rien que pour y profiter d’un peu de tranquillité, me paraissait un peu excessif. Il aurait tout aussi bien pu fréquenter les thermes pendant son temps libre – enfin, des thermes où l’on se rend discrètement, bien évidemment.
Martinus n’avait pas bougé de la porte. Il se retourna vers nous et adressa un signe discret à Petro.
— Ils arrivent. File, Linus !
Avec un sourire dont je me souviens encore, Linus glissa le long de son banc et se leva d’un bond. Paré pour l’aventure, il était de retour à bord du bateau alors que le reste de la bande n’avait pas encore fini de rassembler ses pensées.
Nous avions déjà payé pour le vin consommé et quittâmes le bar sans une seule parole. Nous entendîmes le tavernier barricader bruyamment la porte. Le message était clair. Il était inutile de penser à revenir.
Dehors, si l’obscurité était moins épaisse, le vent s’était encore rafraîchi. Alors que nous nous hâtions en direction du quai, je vis Fusculus s’arrêter pour secouer ses jambes. Probablement des crampes. Tout en marchant d’un bon pas, nous dégageâmes nos sabres de nos capes. Nerveux, nous tendions tous l’oreille pour tenter de percevoir le bruit que nous souhaitions entendre par-dessus celui du claquement des cordages et autres grincements divers en provenance du navire.
Nous finîmes par capter un vague son sur la route conduisant au port, mais tout juste. De toute évidence, Martinus était doté d’une ouïe exceptionnelle.
Assez vite, toutefois, nous entendîmes plus précisément le bruit des sabots des chevaux et celui des roues, puis la cavalcade nous apparut. Au centre avançait une carriole particulièrement élégante, semblable à celles que les nantis utilisent pour gagner confortablement leur lointaine résidence d’été – assez vaste pour pouvoir y manger, y écrire et y dormir à l’aise en oubliant les nids-de-poule. Pourtant, je suppose qu’en ces circonstances, Balbinus ne pensait pas vraiment à dormir.
À peine l’équipage se fut-il arrêté que deux affranchis, ayant décidé – ou ayant été persuadés – qu’ils ne pouvaient pas se séparer de leur maître, se mirent à décharger des bagages relativement modestes. Balbinus avait perdu tous ses esclaves avec ses autres biens, mais la décision de ses affranchis ne regardait qu’eux. Ils possédaient désormais plus de droits civiques que lui. Il n’empêche qu’ils pouvaient se sentir moralement redevables envers un maître qui leur avait rendu la liberté. Tout dépendait probablement du nombre de coups reçus sans raison alors qu’ils étaient encore des esclaves.
Cette canaille de Balbinus ne semblait pas vouloir descendre de sa lourde carriole à quatre roues décorée de finitions en argent et tirée par deux magnifiques mules appareillées de mors de bronze et de harnais garnis de précieux émaux. D’épais rideaux empêchaient de voir à l’intérieur du véhicule. Nous étions de plus en plus nerveux dans l’attente du grand moment.
Petronius Longus s’avança pour saluer les officiers de la sixième cohorte chargés d’escorter Balbinus Pius depuis Rome. Je ne l’avais pas lâché d’une semelle. Il me présenta donc Arica et Tibullinus
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