Le temps des adieux
qui me plaît, c’est l’idée de ne plus jamais revoir cet horrible salaud.
— Vas-y, dépouille-le de tous ses droits ! l’encouragea Martinus qui, lui, ne donnait pas dans la sensiblerie.
Petronius Longus, chez qui la fatigue commençait à l’emporter sur la satisfaction, croisa posément les bras avant de déclarer :
— Tiberius Balbinus Pius, tu viens d’être condamné à mort pour une longue série de crimes. Les lois de Rome t’accordent du temps pour partir au loin. C’est ta seule prérogative. Tu n’es plus considéré comme un citoyen romain. Et à plus forte raison, tu n’appartiens plus à l’ordre équestre et ne jouis plus des privilèges qui y sont attachés. Tout ce que tu possèdes va revenir au trésor public et à ceux qui t’ont accusé à juste titre. Ta femme, tes enfants et tous tes autres héritiers ne pourront rien en revendiquer. Tu dois t’en aller au-delà des frontières de l’Empire et ne jamais y revenir. En posant le pied dans un territoire gouverné par Rome, tu encourras l’application de la peine de mort.
— Je suis innocent ! geignit Balbinus.
— Ferme-la, lui intima Petronius, et grimpe sur ce bateau avant que je perde patience !
Balbinus lui décocha un regard mauvais mais ne se le fit pas répéter deux fois. Il se dépêcha de monter à bord.
6
Plus tard dans la matinée, je revins sur les quais en compagnie de Petro. Nous avions ronflé quelques heures sur les bancs d’un bar à vin dont le tenancier était à peine plus aimable que le précédent.
Tandis que nous prenions un peu de repos bien mérité, la scène avait changé du tout au tout. Il faisait maintenant grand jour. Les quais étaient noirs de monde, et il nous fallut un certain temps pour nous accoutumer au brouhaha ambiant.
En quête du Providentia, l’immense vaisseau qui nous avait ramenés de Syrie, Helena et moi, nous prîmes toute la mesure de ce gigantesque bassin artificiel baptisé Portus qui remplaçait le vieux port d’Ostie – envasé et situé à deux lieues de là –, que seuls des bateaux à faible tirant d’eau pouvaient désormais utiliser. À Portus, les travaux avaient commencé sous l’empereur Claude et duré une vingtaine d’années. Aujourd’hui, un très haut phare éclairait l’entrée de cette rade qui abritait le plus important trafic maritime du monde. Tout le commerce de l’Empire passait par là, et les taxes portuaires atteignaient des chiffres pharamineux. Moi aussi, j’avais réglé les miennes, comme un bon citoyen dont le beau-frère douanier aimait poser des questions embarrassantes. Je souhaitais maintenant récupérer ma cargaison et rentrer chez moi au plus vite.
Les jetées étaient toutes encombrées de marchandises et de douaniers ravis de harceler les propriétaires de bateaux et les voyageurs impatients. Petro et moi étions fatigués et pressés, mais tenter de s’imposer au milieu de ce tumulte général ne serait qu’une perte de temps. Nous devions nous contenter de grommeler avec d’autres inconnus agacés.
— Désolé de t’avoir entraîné dans ce capharnaüm, m’excusai-je, sincèrement navré pour mon compagnon.
Il paraissait pourtant prendre la chose du bon côté. Il est vrai que nous avions connu des situations bien pires. Et puis toute cette agitation éloignait judicieusement nos pensées de Balbinus. Nous nous concentrâmes sur nos tractations commerciales au profit de mon père, qui me tapait sur les nerfs plus que je n’aurais su le dire, mais qui nous donnait tout de même l’occasion de passer quelques heures au bord de la mer.
D’une façon générale, les rapports espacés que je maintenais avec mon géniteur ne m’attiraient que des ennuis. Depuis le jour où il avait quitté la maison pour toujours, alors que j’étais encore gamin, je conservais une certaine animosité à son égard, quelle que soit son attitude envers moi. Et j’avais beau l’éviter, il se débrouillait toujours pour s’immiscer dans ma vie.
Il ne s’était pas risqué à me demander de l’aider à gagner de l’argent sur notre dos, au cours de notre voyage en Syrie ; il avait jugé plus habile de charger Helena Justina de lui trouver des marchandises qu’il pourrait revendre.
Helena est ma compagne. Fille de sénateur, elle en a reçu l’éducation et pense que mon père est un sympathique sacripant. Elle prétend que je le traite trop durement et souhaite que nous soyons amis. Il en profite
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