Le temps des adieux
Il m’a aussi demandé de la prévenir qu’il était de retour à Rome, mais j’ai refusé.
— S’il l’aime autant que tu le prétends, pourquoi n’est-il pas allé la voir dans votre maison ?
— Il avait peur que la maison soit sous surveillance.
— Et personne d’autre n’a appris à Milvia le retour de son père ?
— Non. Je ne tiens pas à ce qu’elle le sache. Elle est ma femme et je veux qu’elle reste en dehors de tout ça. Il a du mal à l’admettre.
— C’est bien normal. Il a été un criminel toute sa vie, et sa femme ne vaut pas mieux que lui. Le problème, c’est qu’ils ont fini par considérer leur mode de vie comme normal ! Et ils tenaient à ce que leur fille se fasse une place dans la haute société romaine, loin de leurs tribulations.
— Une chose est certaine ! s’exclama Florius, c’est que leur mode de vie les a enrichis !
— En effet. As-tu une idée de l’endroit où se cache Balbinus ?
— Aucune. Il est apparu un jour – au portique d’Octavie, où il sait que je passe beaucoup de temps. C’est pour cette raison que je n’y vais plus et que je viens ici.
— Ton attitude est la bonne, Florius. (Ce qui n’allait pas m’empêcher de mettre la pression sur lui.) Mais tu dois comprendre que tu te trouves dans une situation difficile. Des gens pensent que tu es plus ou moins associé avec ton beau-père.
— Pures foutaises ! s’écria-t-il, furieux.
Je vis ses poings se crisper. Je ne pouvais pas m’empêcher de compatir : il est parfois bien difficile de prouver son innocence.
— J’ai répondu à toutes les questions possibles avant le procès, poursuivit-il. Et on m’avait assuré qu’on ne viendrait plus m’ennuyer.
— Je comprends ce que tu ressens… Mais dis-moi tout de même, si tu souhaitais contacter Balbinus, est-ce que tu le pourrais ?
— Non ! (Il était visiblement exaspéré.) Mets-toi bien dans la tête que je ne souhaite pas le contacter. Sous aucun prétexte ! Et je lui ai interdit de chercher à me revoir.
— D’accord, je te crois. Calme-toi. J’aimerais cependant savoir si c’est lui qui t’a offert le fameux pichet de verre syrien ?
— Oui.
— Alors, c’est qu’il éprouve de l’estime pour toi ?
— Pas du tout. Il pense que je suis un moins que rien. Le cadeau était destiné à sa fille.
— Et tu ne l’as pas informée ?
— Non. J’ai rapporté ce truc à la maison sans lui donner de précisions. Je ne veux pas qu’elle apprenne son retour, ni qu’elle reçoive de présents payés avec de l’argent sale.
— Pardonne-moi de me mêler de ce qui ne me regarde pas, mais ta femme et toi paraissez entretenir une étrange relation. J’ai plusieurs fois essayé de te rencontrer chez toi, mais tu n’y es jamais. Tu détestes la famille de ta femme et tu ne sembles pas beaucoup t’occuper d’elle non plus. Pourtant, tu restes marié. C’est pour des raisons financières ? Je croyais que tu étais riche toi-même.
— Je le suis.
— As-tu des dettes de jeu exorbitantes ?
— Certainement pas. J’ai gagné de l’argent, au contraire. (Il était peut-être un supporter des Blancs, mais de toute évidence il ne pariait pas sur eux.) Je m’apprête à acquérir une écurie de courses.
— Très bien, mais pour quelle raison négliges-tu Milvia ?
Il me répondit par un haussement d’épaules. Sa femme ne l’intéressait pas. Étonnant.
Je lui adressai un regard sévère avant d’ajouter :
— Tu devrais suivre mon avis, jeune homme ! (Il avait à peu près mon âge mais pas mon expérience des rues.) Soit tu divorces, soit tu tiens davantage compagnie à ta femme. Si tu veux te lancer dans les affaires, ne donne l’occasion à personne de se gausser de toi.
— Jamais Milvia ne…
— Bien sûr que si ! l’interrompis-je. Milvia est une femme. Une jolie jeune femme qui se sent seule. Elle ne laissera sans doute pas passer la première occasion qui s’offrira à elle. Et elle aura bien raison.
— Tu racontes n’importe quoi ! s’étrangla-t-il.
— Ce n’est rien d’autre qu’une hypothèse, évidemment, le calmai-je. Revenons plutôt à ton beau-père. Ton intérêt est d’aider les autorités à mettre la main sur lui. Pour commencer, le pichet qu’il t’a offert est un objet volé.
Florius laissa échapper un grognement. Il devait avoir l’impression de replonger en plein cauchemar.
— Je suppose qu’il ne t’a pas
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