Le temps des adieux
(Elle ferma brièvement les yeux. Elle avait l’air à bout de forces, presque malade.) De toute façon, il s’est empressé de déguerpir. Et j’ai chassé Tibullinus et Arica.
— Ne t’inquiète pas pour eux. Tous les deux vont être jugés pour corruption. Et peut-être toute la sixième cohorte avec eux.
— Je le croirai quand je le verrai, Falco. Mais il faut se dépêcher. Parce que j’ai idée qu’ils ne vont pas tarder à tous débarquer ici.
— Que vas-tu faire ?
— Ne t’inquiète pas pour moi.
Je commençais pourtant à m’inquiéter sérieusement. Le rideau auquel elle s’accrochait était en train de s’arracher de son support. Et pourtant, au lieu de relâcher le tissu, elle s’y agrippait encore davantage.
— Oh ! par Jupiter ! Lalage…
Je fis un bond en avant et la reçus contre mon cœur.
La tringle s’arracha du mur, et le lourd tissu nous emprisonna tous les deux pendant un moment. Mes genoux ployèrent sous le choc. Quand je réussis à nous dégager, j’aperçus le manche du poignard planté dans ses reins. Le dos de sa robe était trempé de sang. Tout en me demandant par quel miracle elle vivait encore, je l’étendis tout doucement sur le côté.
— C’est Balbinus, bien sûr, dit-elle dans un souffle.
— Je vais chercher de l’aide.
— Non. Reste avec moi.
— Mais tout seul, je ne peux rien, protestai-je.
— De toute façon, il n’y a plus rien à faire. J’en ai plus pour longtemps. Tu peux me poser des questions, Falco. J’y répondrai.
— Tout ça n’a plus d’importance, affirmai-je.
— Pourquoi devrais-je mourir pour rien ? Je peux te dire comment Balbinus a appris la présence de Linus sur l’ Aphrodite qui devait l’emmener en exil. Par Tibullinus et Arica.
— Oui, mais qui les avait mis eux-mêmes au courant ?
— Quelqu’un d’une autre cohorte. Un jeune avec qui ils étaient devenus copains… (Elle faiblissait de plus en plus.) Falco, je voulais te demander…
Elle ne termina jamais sa phrase. Je crus deviner ce qu’elle voulait. J’arrachai le poignard et l’étendis sur le dos. Puis, je caressai du bout du doigt la cicatrice de son oreille.
Je la recouvris ensuite du rideau, ne laissant apparaître que son visage. Elle avait beau être allongée sur le sol, elle ressemblait à une reine dans son mausolée.
Je me remis péniblement sur pied et allai m’asseoir sur son divan. Je restai prostré un long moment à me rappeler Rillia Gratiana, la si jolie petite fille qui était arrivée à l’école lors des ides d’octobre, il y avait déjà vingt-cinq ans. Ce jour-là, un scandale local avait éclaté quand un jeune garçon, effrayé qu’elle lui prenne sa place, avait refermé ses dents sur son oreille.
Je voulais lui dire – j’avais toujours voulu lui dire depuis ce jour-là – que j’avais mordu son oreille par accident.
Il était désormais trop tard.
63
Je descendais tranquillement l’escalier quand le tumulte éclata. Jusque-là, le plus grand calme avait régné dans la maison. Un tel calme que j’avais gardé l’espoir que Balbinus s’y trouvait toujours, convaincu d’y être en sécurité après avoir poignardé Lalage.
J’appris plus tard que, pendant ma longue captivité en compagnie de Petronius, les hommes de Martinus avaient été rassemblés et enfermés à leur tour. Personne n’ayant pu croire que nous étions partis à l’assaut du bordel à deux, des recherches entreprises immédiatement avaient permis de mettre la main sur le reste de notre petite bande. Qui sait combien de clients réguliers avaient été interrompus dans leurs ébats amoureux. Furieux d’avoir gaspillé leur argent, ils s’étaient rebiffés. La promesse d’être remboursés avait accru leur colère. À moitié habillés, ils s’étaient regroupés à l’entrée de l’établissement. Après de vains pourparlers avec Macra, qui gardait la porte, l’inévitable s’était produit. Par un processus démocratique naturel, un chef émergea parmi la bande de protestataires et parvint à persuader les autres de rentrer de force chez Platon pour obtenir leur dû.
Leur première action fut de libérer Sergius et ses compagnons. Sergius leur laissa entendre que ce qu’ils avaient de mieux à faire était de rentrer au plus vite chez eux la queue basse. Mais comme il accompagna ce conseil d’un clin d’œil significatif, les clients déçus, oubliant leur discrétion coutumière, se
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