Le temps des adieux
l’ordre équestre à tirer un revenu d’un bordel.
Je souffrais le martyre et tentai en vain de changer de position. Combien de temps allait durer ce supplice ?
— Quand tu es arrivé, as-tu aperçu Martinus, Sergius et les autres ?
— Martinus était en train de traîner dehors un type à moitié mort. Sans doute un de ses indicateurs.
— Igullius !
— Si tu le dis. J’ai vu personne d’autre. Et ils avaient pas intérêt à ce que je les voie !
Tibullinus n’avait pas dû fermer correctement la porte : un courant d’air venait de l’entrebâiller légèrement. Plus aucun bruit ne nous parvenait de la salle de spectacle. La nuit devait donc être très avancée. Spectateurs et artistes étaient rentrés chez eux, s’ils ne s’étaient pas égaillés dans des coins plus discrets.
On n’avait amené personne d’autre pour nous tenir compagnie, saucissonné ou non. Les autres auraient-ils décidé de nous abandonner à notre triste sort ? Venant de la part de Martinus, je n’en aurais pas été autrement surpris. Et Petronius non plus, d’après ses commentaires. Mais en ce qui concernait la déloyauté de son adjoint, je pesai soigneusement mes mots.
C’était bien tout ce que je pouvais faire. Je n’arrivais même pas à bouger le petit doigt. J’avais l’impression que mes bras enflés ne me seraient plus jamais d’aucune utilité.
C’est à ce moment précis, où j’étais en train de m’apitoyer sur moi-même, qu’une petite voix murmura à la porte.
— Oncle Marcus, c’est bien toi ?
J’entendis Petro expulser brusquement tout l’air qu’il avait dans les poumons. Quant à moi, je fis des efforts désespérés pour ne pas céder à l’hystérie.
— Tertulla ! Par Jupiter ! Tu vas rester ma nièce préférée pour toujours. Prends une torche, dehors. Fais attention à ne pas te brûler avec la flamme…
— Je veux pas jouer à ça.
— Mais viens nous dire bonsoir, dit Petro. Et on t’a même pas dit à quoi on voulait jouer…
La gamine ne répondit rien. Je me sentais bouillir d’irritation contenue. Puis la porte s’ouvrit davantage avec un grincement, et une petite silhouette pénétra à l’intérieur de la pièce sombre. Elle portait une robe que même ma sœur n’aurait pas osé lui mettre. Elle était sale et visiblement épuisée. Pas besoin d’être devin pour savoir qu’elle mourait d’envie de rentrer chez elle. Je fus alors certain que si nous promettions de la protéger contre sa mère, elle accepterait peut-être de se mettre de notre côté.
62
Petronius Longus possédait un sourire spécial qu’il gardait en réserve pour certaines situations particulières, généralement des situations où il jugeait ma présence tout à fait superflue. Or, je découvris que ce même sourire, accompagné de quelques paroles prononcées d’une voix amicale, pouvait convaincre une gamine de sept ans. Il avait dû s’entraîner sérieusement avec ses trois petites filles.
Il parvint tout d’abord à la persuader de jouer à défaire les chaînes qui le troussaient de si belle façon. Puis, tous les deux, ils tentèrent de défaire les miennes encore plus vicieusement assujetties.
Il m’obligea ensuite à faire des mouvements avec les bras.
— Tu as mal ?
— Ouille ! Tu peux le dire.
— Tant mieux, dit-il. Ça signifie que tes nerfs fonctionnent.
Nous pûmes constater que la salle de spectacle avait été effectivement désertée. Derrière la statue particulièrement obscène qui nous avait déjà attiré l’œil la dernière fois, nous repérâmes une fenêtre. Elle ouvrait sur un toit en contrebas qui donnait sur la rue. Le problème, en ce qui me concernait, c’est que j’étais incapable de me servir de mes bras.
En recommençant à circuler, le sang me causait une douleur quasi intolérable. Ce fut donc Petro qui se laissa prudemment glisser le premier sur le toit en priant le ciel de ne pas passer à travers les tuiles. Il sauta ensuite dans la rue. Tertulla n’eut besoin d’aucun encouragement pour suivre le même chemin et se jeter sans hésiter dans les bras de cet homme merveilleux prêt à la réceptionner.
Nous étions convenus que Petro allait emmener la gamine en sûreté, puis revenir avec des renforts. Il disposait maintenant de suffisamment d’éléments pour convaincre le tribun Marcus Rubella qu’il n’était pas nécessaire de ménager les susceptibilités de la sixième cohorte.
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