Le temps des adieux
Une fois resté seul, j’étais censé attendre patiemment caché quelque part.
L’oreille plaquée contre la porte, je n’entendais aucun bruit. Je frappai néanmoins au cas où elle aurait été engagée dans une activité particulièrement délicate, puis je me risquai à l’intérieur.
Elle se tenait du côté opposé à la porte, le dos contre un rideau. À première vue, elle était seule. Elle ne m’avait pas invité à entrer, mais elle m’accueillit avec un geste aimable du bras. La pièce était aussi fortement parfumée que la dernière fois. Lalage portait le bracelet que je lui avais réparé. Sa tunique chatoyante était de soie mordorée, et si fine qu’elle dessinait son corps merveilleux plus qu’elle ne le dissimulait. Cette fabuleuse créature avait parcouru beaucoup de chemin depuis que je l’avais connue petite fille. J’étais souffrant et furieux, mais je ne pouvais empêcher sa dangereuse magie d’agir sur moi.
— Marcus Didius ! Quelque chose me dit que j’aurais dû m’attendre à ta visite. Bienvenue chez moi.
Je restai où j’étais en observant attentivement les lieux. Personne ne pouvait se cacher derrière le rideau. Coulissant le long d’une tringle, il était apparemment destiné à masquer le lit placé dans une alcôve. Peut-être son propre lit, d’ailleurs. Même les péripatéticiennes de haute volée doivent dormir à un moment ou un autre.
Pour l’instant, le rideau ouvert était retenu par un cordon contre le mur. Pourquoi Lalage s’obstinait-elle à rester plantée devant, aussi droite qu’un javelot, une main agrippée à la bordure brodée. Ses doigts s’enfonçaient si profondément dans les plis du tissu qu’il m’était même impossible de voir si elle portait des bagues.
Toujours vaguement inquiet, je restai planté où j’étais en croisant les bras. En dépit des apparences, l’atmosphère m’apparaissait pleine de danger. Je pris soin d’observer attentivement chaque détail de la pièce. Il n’y avait pas de fenêtre et, d’où je me trouvais, j’apercevais le plancher sous le lit et aussi sous le divan où elle se tenait d’habitude.
Le plafond ne comportait aucune trappe, et les murs ne semblaient dissimuler aucune porte dérobée.
— Es-tu en service commandé, ce soir ? demanda-t-elle.
— J’en ai bien peur.
Nous allions jouer la partie à armes égales. Je m’autorisai un sourire narquois. Elle se contenta d’incliner légèrement la tête.
— Où est-il ? demandai-je sans élever la voix.
— Pas ici. Il s’est sauvé.
— Tu veux bien m’expliquer ?
— C’est vraiment nécessaire ? s’exclama-t-elle d’un ton presque mutin. Le grand méchant est resté très puissant. Il a envahi la maison et je n’ai rien pu faire.
Je ne pus m’empêcher de rire.
— J’ai beaucoup de mal à avaler ça, Lalage !
— Je m’en doute. (Elle avait les yeux brillants, mais le soupir qu’elle poussa trahissait sa lassitude.) Tu possèdes des manières agréables, Falco, poursuivit-elle. Plus un corps superbe, une intelligence brillante et des yeux magnifiques.
— Arrête de te moquer de moi ! Où est-il ? insistai-je.
— Parti dans sa cachette. Probablement sous un déguisement. Tout ce que je sais, c’est que ça se trouve sur l’Aventin. J’ai essayé de savoir où. Pour toi. Mais en vain.
— Pas pour moi !
— Exact, pour moi-même. Le plan – oui, bien sûr, il y avait un plan, Falco – était de prétendre que j’étais terrifiée à la pensée de ce qu’il pourrait me faire parce que j’avais témoigné contre lui devant le tribunal. Je l’ai laissé utiliser le bordel uniquement pour avoir un œil sur lui.
— Pourquoi ne pas avoir prévenu les vigiles dès que tu l’as vu arriver ?
— Tu veux parler de la sixième cohorte ? !
— Tu aurais très bien pu contacter Petronius. Il t’avait même dit qu’il était prêt à acheter le renseignement. Et c’est un homme de parole.
— C’était pas une question d’argent.
Je la croyais. Si Lalage trahissait, c’était pour ses propres raisons. Elle se vendait elle-même, mais traitait ses ennemis différemment.
— Alors, c’était quoi le problème ?
— Toi, principalement, répondit-elle. Tibullinus est venu le prévenir que tu avais placé l’Académie de Platon sous surveillance. Et Balbinus m’a accusée.
— Tu n’avais pourtant rien à voir là-dedans.
— C’était pas son avis.
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